Repenti : une faveur qui pose questions
Dans l'affaire du Qatargate, l'ex-eurodéputé italien Pier Antonio Panzeri a obtenu le statut de repenti. Mais qu’est cela signifie exactement? Explications concernant ce statut particulier, qui pose quand même pas mal de questions.
Publié le 18-01-2023 à 18h29 - Mis à jour le 18-01-2023 à 18h51
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1. Le principe
Le principe du repenti consiste à échanger une diminution ou un aménagement de peine contre des informations permettant d’autres arrestations. Le plus connu des "pentito" est le mafioso Tommaso Buscetta, qui en 1984 brisa l’omerta et fit tomber le parrain Toto Riina pour venger l’assassinat de huit membres de sa famille par le clan des Corleonesi. Ses aveux au juge Falcone permirent la condamnation de près de 350 membres de Cosa Nostra. Depuis, d’autres pays ont adopté un programme de protection des témoins et des lois sur les repentis, comme les Pays-Bas, la France et l’Allemagne. En Belgique, la loi fut votée en juillet 2018, après avoir fait débat durant une vingtaine d’années. Jusqu’ici, elle a été peu appliquée. Avant Pier Antonio Panzeri, il n’y avait qu’un seul cas connu, celui de l’agent de joueurs Dejan Veljkovic, même si ce type d’accord a pu toucher d’autres dossiers.
2. Que prévoit la loi ?
Imposant des conditions strictes, la loi permet au ministère public de conclure un accord sur une peine "moyennant des aveux circonstanciés, complets et sincères, et qui apportent à l’enquête des éléments dont elle ne disposait pas déjà", explique l’avocat pénaliste Marc Preumont. Deux conditions doivent être remplies: "qu’il n’y ait pas d’autres moyens de faire avancer l’enquête" et que les informations recueillies concernent des "formes graves de criminalité": dossiers de terrorisme, faux monnayages, meurtre ou d’organisations criminelles. Les promesses faites au repenti doivent être proportionnelles aux infractions qu’il a commises et à l’importance des infos qu’il fournit. Outre ses aveux, le repenti a l’obligation de prendre des mesures pour indemniser les dommages causés. Point important: les déclarations du repenti ne suffiront pas pour que des personnes soient condamnées. D’autres preuves sont indispensables.
3. Quelle procédure ?
"La promesse est formulée par le ministère public", qui est libre de refuser la procédure à un inculpé qui se voudrait repenti. Les deux parties cosignent un mémorandum dans lequel chacun précise ses engagements. "Après quoi le repenti fait sa déclaration dans le délai prévu par l’accord." La promesse devra toutefois être "homologuée" par le tribunal, la Cour ou la juridiction d’instruction compétents, en fonction du stade d’avancement, après avoir vérifié sa proportionnalité et sa légalité. Le juge de fond prononcera, lui, une peine subsidiaire, applicable si le repenti ne respecte pas les conditions. Les promesses peuvent être rétractées en cas de fausses déclarations, s’il tente d’entraver l’instruction, s’il est condamné pour de nouveaux faits ou s’il n’indemnise pas les victimes.
4. Quel avantage ?
Quand la loi fut votée en Belgique (PS, Ecolo et cdH s’abstenant), le ministre de la Justice Koen Geens expliquait le texte permettra de résoudre des affaires comme les Tueries du Brabant ou des dossiers de terrorisme. Avantage non négligeable: l’accélération de l’enquête. "Quand la personne avoue, quel est l’intérêt de faire tout un procès, toute une procédure, toute une enquête qui peut durer des mois et des années ? Autant gagner du temps, gagner en efficacité", estimait ainsi Maxime Töller, qui a consacré un ouvrage au sujet et n’est autre que l’avocat de… Marc Tarabella.
5. Est-ce moral ?
La loi belge sur les repentis a soulevé différentes critiques, parce que son champ d’application est large, que la procédure n’était pas des plus claires ou en raison de la transparence de l’accord conclu, qui est versé au dossier, mettant en danger le repenti qui devra faire l’objet d’une protection. "Il s’agit d’une procédure assez lourde", souligne Marc Preumont. Ce qui explique en partie pourquoi elle est peu utilisée. "Si on est dans la criminalité organisée, ce n’est pas non plus sans risques. On peut comprendre qu’il n’y a pas beaucoup de candidats."
Mais c’est au niveau "moral" que se posent le plus de questions. La Justice est-elle "équitable" quand elle accepte de collaborer avec un repenti ? La loi n’octroie-t-elle pas une prime à la délation, favorisant un individu qui dans d’autres circonstances serait considéré comme une "balance" ? Est-il légitime d’octroyer une réduction de peine aux "gros poissons", ceux qui en savent beaucoup parce qu’ils sont les plus impliqués, alors que les moins responsables seront davantage punis ? Autre question: quelle est la qualité des aveux d’un malfrat qui sera tenté de régler des comptes, de "charger" d’autres, tout en minimisant son propre rôle ? Enfin, seul le Parquet peut recourir à des repentis, mais la Défense ne peut susciter, de la même manière, des témoignages qui iraient dans un sens différent. "C’est un débat qui a eu lieu. Il faut savoir ce que l’on veut: punir sévèrement ou éclairer la manifestation de la vérité, conclut Marc Preumont. "On a considéré qu’il vaut mieux avoir mis en lumière tous les rôles plutôt que l’obtenir une grosse peine pour un individu."