Crise Covid : Micro-consultant, maxi-pouvoir
La traversée de la crise covid n’a pas été sans d’âpres négociations entre le fédéral et ses fournisseurs et prestataires. Quitte à flirter avec les limites.
Publié le 17-01-2023 à 19h12 - Mis à jour le 17-01-2023 à 19h13
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Des cabinets de conseil qui ont épaulé le fédéral pendant la crise covid, on connaissait le coût (depuis 2021 et une enquête du Soir): quelque dix millions d’euros, confirmés depuis par le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke (Vooruit) suite à une demande (récente) de clarification par la N-VA (9,6 millions d’euros pour être exact).
Depuis ce lundi, et un article du Standaard, on connaît également l’ensemble des intervenants pour le compte de l’État, soit 16 sociétés de consultance ou assimilé (principalement Deloitte) mais aussi des structures moins connues, tel Kronos Group ou Solvint Supply Management.
Petite équipe
L’un de ces consultants, plutôt modeste, attire l’attention: YQ Purchasing, une entreprise belge qui promet à ses clients de "négocier bien plus que de bons prix et une bonne qualité". YQ Purchasing fut au centre de la gestion de la crise covid pendant deux ans. Son patron, Thierry Decocq, se présente sur Linkedin comme le chef du "groupe de travail sur les achats Covid-19 pendant la crise de Corona avec pour mission de se procurer d’urgence sur le marché mondial les équipements de protection individuelle requis pour le personnel médical professionnel belge, les instruments et les réactifs laboratoires et les seringues/aiguilles de vaccination pour la population belge."De fait, c’est bien lui que Philippe de Backer, l’alors secrétaire d’État en charge de récupérer d’urgence du matériel anticovid (masques, etc.), a choisi pour mener ces achats cruciaux dès avril 2020.
"C’est Thierry et son équipe d’acheteurs qui a géré au début les achats de masques et matériaux protecteurs alors que le marché était instable. Il avait son réseau en Asie et dans le secteur médical, c’est pourquoi on a travaillé avec lui", explique l’ancien ministre, louant le pedigree de l’acheteur, passé par Pepsico et GSK, entre autres. Un travail d’achat mené avec succès, semble-t-il: fin 2022, YQ Purchasing a même raflé la seconde place des European Innovation Procurement Awards, une distinction qui récompense les méthodes d’achat les plus innovantes en Europe.
Factures impayées, menaces
Pourtant, la méthode "innovante" pour obtenir de "bons prix" a aussi, semble-t-il, consister à ne pas honorer les factures présentées par les fournisseurs du SPF, d’après plusieurs échanges que l’ Avenir a pu consulter. Ou à faire traîner l’échéance jusqu’au dernier moment, en entretenant le flou sur les griefs.
"Nous attendons de toute urgence le paiement de nos dernières factures", supplie ainsi ce fournisseur, soulignant le manque de "transparence" du SPF – représenté dans ce cas par Thierry Decocq.
Après le départ de Philippe de Backer suite au changement de gouvernement en septembre 2020, le chef de YQ Purchasing est resté au sein du SPF. Ses méthodes aussi. Un prestataire dit s’être senti menacé et harcelé après avoir mis en demeure le SPF de payer ses factures et avoir refusé la ristourne exigée par Decocq.
Un autre fournisseur, contacté par l’ Avenir, tempère néanmoins: les méthodes d’acheteurs de YQ Purchasing, pour "rugueuses" qu’elles soient, ne différeraient pas spécialement des pratiques en vigueur chez d’autres consultants.
Contacté, Thierry Decocq n’a pas souhaité décrire son travail pendant deux ans auprès du SPF Santé publique, où il travaillait en étroite collaboration - dixit Philippe de Backer - avec les consultants de chez Deloitte. Sur Linkedin, le consultant juge que son apport a favorisé "une vitesse d’approvisionnement, une connaissance des produits et une efficacité exceptionnelles".
Pourtant, une partie significative du stock stratégique collecté par lui et ses équipes au début de la crise covid est bel et bien voué à la destruction, dont l’équivalent de 69,3 millions d’euros parce que les produits étaient peu qualitatifs. Mais le marché mondial était, il est vrai, passablement sous tension à l’époque (avril 2020).