Taxe nucléaire : «En 2008, j’ai annoncé la conclusion d’un accord avec Electrabel… alors qu’il n’était pas finalisé», révèle Paul Magnette
L’ex-ministre de l’Énergie revient sur le coup de bluff qui lui a permis d’imposer à Electrabel la contribution de répartition
Publié le 14-01-2023 à 07h00 - Mis à jour le 14-01-2023 à 09h28
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Paul Magnette, dans quel contexte avez-vous décidé de taxer les surprofits réalisés par les exploitants de Doel et de Tihange, alors que vous occupiez le poste de ministre de l’Énergie entre décembre 2007 et décembre 2011 ?
À l’époque, il s’agissait d’un problème qui était fondamental. Davantage même que la question de la prolongation de réacteurs. Le service d’études de la FGTB avait étudié la question de la rente nucléaire et avait organisé une série de manifestations jusqu’au pied de mon cabinet ministériel. Nous nous sommes donc saisis du débat, et nous avons notamment fait analyser la question par la CREG.
L’ensemble du gouvernement était-il demandeur d’une telle taxe ?
À la base, je n’avais rien dans l’accord de gouvernement qui me permettait de négocier avec Electrabel. J’ai donc dû négocier au sein de l’exécutif et ce ne fut pas simple. Didier Reynders, vice-premier ministre MR, était convaincu qu’il fallait en même temps revoir le calendrier de sortie. À l’époque, nous pouvions déjà voir arriver un problème potentiel de sécurité d’approvisionnement.
Quel mandat avez-vous finalement obtenu ?
J’avais obtenu du kern – le conseil des ministres restreint – un mandat sur base duquel je n’obtiendrais le paiement d’une rente nucléaire que s’il y avait une amélioration de la sécurité d’approvisionnement. J’ai donc négocié avec Electrabel sur cette base par loyauté vis-à-vis du gouvernement. Mais aussi parce que ma conviction était qu’il fallait maintenir le cap d’une sortie du nucléaire en accélérant la transition vers les énergies renouvelables, tout en réduisant la consommation. Or, il fallait des moyens financiers pour développer cela.
Au final, vous scindez les deux dossiers : d’une part, la taxe sur la rente nucléaire ; d’autre part, l’agenda de sortie et la sécurité d’approvisionnement…
À un moment donné dans la négociation, avec la fougue de la jeunesse, j’ai communiqué sur le fait qu’il y avait un accord avec Electrabel. Or, celui-ci n’était pas finalisé. Si Electrabel n’a pas osé réagir dans un premier temps, Gérard Mestrallet, le patron de GDF-Suez, la maison mère d’Electrabel, s’est étranglé et a dénoncé l’accord. Au gouvernement, cela m’a aidé et j’ai pu déposer le texte de loi (NDLR : signée le 22 décembre 2008). Didier Reynders a estimé que j’avais saboté la négociation, mais cette taxe forfaitaire permettait de générer 250 millions d’euros de rentrées. Et j’avais en effet pu scinder les deux dossiers.
En octobre 2009, vous signerez aussi un protocole d’accord avec Electrabel pour prolonger trois réacteurs…
Mon idée était celle d’un carré magique. Nous avions imaginé un système d’acheteur unique qui, à l’époque, était encore conforme au droit européen. Il s’agissait d’une structure publique qui aurait acheté l’électricité produite par ces trois réacteurs nucléaires prolongés. Nous aurions ensuite revendu une partie de la production via des contrats de gros aux industriels, pour leur assurer un prix garanti sur un long laps de temps. Enfin, le reste de la production aurait été revendu aux fournisseurs. Et avec les marges réalisées sur cette revente, nous aurions financé le tarif social. Mais la chute du gouvernement à rendu caduc le protocole d’accord.
L’idée d’un acheteur unique n’a pas été retenue par le gouvernement suivant…
Probablement parce que l’arrêt de la Cour constitutionnelle nous mettait dans une position confortable et nous permettait d’augmenter la taxe nucléaire. Ensuite, les règles européennes avaient changé.
De nombreuses voix estiment aujourd’hui que le nucléaire a un avenir, notamment avec le développement de petits réacteurs (SMR). Quelle est votre position sur le sujet ?
Moi, je suis socialiste. Je crois dans la science et le progrès. S’il y a des avancées majeures, pourquoi pas… Je ne suis pas fermé à la technologie. Mais le problème fondamental, ce n’est pas la technologie en elle-même. Il y a la question des déchets ou encore la sécurité. Et plus fondamentalement, il y a aussi la structure du marché et le mix énergétique. Avec 50% d’énergie nucléaire dans le mix belge (NDLR : en 2022, le nucléaire représente encore 47% du mix de production électrique en Belgique, selon Elia), on ne pouvait pas favoriser d’autres investissements.