Les pensions belges recalées par l’Europe ?
La Belgique pourrait passer à côté de près de 900 millions d’euros de subsides européens si elle ne revoit pas, d’urgence, sa réforme des pensions.
Publié le 12-01-2023 à 18h49 - Mis à jour le 12-01-2023 à 18h52
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Ce vendredi, le gouvernement fédéral doit, en principe, solliciter un premier versement européen de près de 900 millions d’euros dans le cadre du plan de relance. Pour que la Commission européenne débloque cette importante subvention, la Belgique est néanmoins tenue de remplir toute une série de critères. C’est là que le bât blesse. Car la Commission exige notamment des avancées en matière de financement et de soutenabilité des systèmes de pensions. Or, la réforme portée par la ministre belge des Pensions, Karine Lalieux (PS), et validée par la Vivaldi en juillet dernier ne satisfait manifestement pas cet objectif.
"La Commission demande aux différents États membres de développer des réformes des retraites qui tiennent compte d’un panel de critères, et notamment du vieillissement de la population, avance Pierre Devolder, professeur de finance à l’UCLouvain. L’institution a donc été choquée de constater que la Belgique, plutôt que d’aller vers une maîtrise des coûts, augmentait ses dépenses de pensions avec cette réforme qui n’en est finalement pas vraiment une. C’est assez surréaliste de présenter une réforme qui coûte plus cher que l’ancien système !"
"En réalité, il n’y a aucune mesure crédible pour garantir un financement des pensions à long terme", appuie Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCLouvain, qui s’inquiète également de la forte hausse des coûts en la matière.
En l’espace de dix ans, les dépenses de pensions ont en effet augmenté de 16 milliards d’euros sur base annuelle, passant de 36 milliards en 2010 à 52 milliards en 2020. "Pour donner une idée, c’est plus que le budget de 12 milliards d’euros de la Fédération Wallonie-Bruxelles, pour ses 120 000 enseignants! [...] Depuis dix ans, les dépenses augmentent deux fois plus vite que les cotisations. C’est tout à fait préoccupant, car le nombre de pensionnés va désormais augmenter de manière extrêmement rapide. Et les personnes qui entrent sur le marché du travail sont moins nombreuses..."
« La Belgique offre des cadeaux »
La réforme de la ministre Lalieux présente un point particulièrement problématique pour la Commission européenne, à savoir l’instauration d’un bonus pension. Pour faire simple, cette mesure tend à maintenir les Belges au travail plus longtemps, via un incitant financier. Les personnes qui décident de ne pas prendre leur pension anticipée ou d’aller au-delà de l’âge légal bénéficieraient alors d’un montant de 2 à 3 euros par jour presté.
"Le Bureau du Plan a indiqué, en novembre, que cette mesure conduisait à un accroissement de 0,3% du PIB, détaille Pierre Devolder. Or, on est déjà dans une trajectoire ascendante en matière de coût des pensions. Donc quand l’Europe demande de maîtriser les coûts, le minimum, c’est d’être neutre budgétairement !" Le problème, c’est que ce bonus n’est nullement compensé. "C’est un cadeau que l’on offre aux gens. Mais où va-t-on trouver cet argent ? La Belgique doit être le seul pays européen à aller dans le sens d’un accroissement des dépenses!"
« Évincer ce bonus qui ne ressemble à rien »
Si elle ne présente pas, d’urgence, une copie budgétairement neutre, la Belgique risque d’être privée d’une partie de son plan relance. "La Commission européenne a tout a fait la possibilité de refuser d’octroyer ces subsides, avance Jean Hindriks. Le plan de relance européen est financé par les différents États membres et implique des conditions de solvabilité des États. Il ne s’agit donc pas d’un chèque en blanc!"
Pour atteindre la neutralité budgétaire, il suffirait de supprimer le bonus pension. "Pour le reste de la réforme, il n’y a de toute façon pas grand-chose à part 2-3 mesures qui ne changent pas la donne", souligne Pierre Devolder. En évinçant le bonus pension, la situation belge serait alors temporairement acceptable, aux yeux de la Commission. "C’est la solution que je préconise : pour le dire platement, on jette à la poubelle ce bonus qui ne ressemble à rien, on se remet autour de la table et on réfléchit, avec les partenaires sociaux, à un vrai système de flexibilité de l’âge de la retraite."
L’autre piste consisterait à conserver ce système de bonus en dégageant de nouvelles recettes, c’est-à-dire des taxes, pour compenser cette dépense. "J’y suis fondamentalement opposé, mais je crains que la ministre et le gouvernement fédéral choisissent cette piste, et campent sur leurs positions..."