Tinne Van der Straeten: « En 2020, la sortie du nucléaire demeurait l’option la plus sûre »
Dans le cadre de notre enquête sur le fiasco de la loi de sortie du nucléaire et la poltique énergétique belge de ces 20 dernières années, la ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten (Groen), revient sur le changement de direction pris par la Vivaldi suite à la guerre en Ukraine et sur le prolongement de l’exploitation de Tihange 3 et Doel 4 jusqu’en 2036.Interview.
Publié le 11-01-2023 à 06h00 - Mis à jour le 11-01-2023 à 19h24
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En 2020, durant les négociations qui ont permis la formation de la Vivaldi, l’option de prolonger le nucléaire avait été écartée. Pourquoi ?
D’abord, nous nous étions déjà plongés dans ce débat lorsque le gouvernement Michel était en affaires courantes. Ensuite, pour ces négociations, nous avons demandé à l’administration et au Bureau fédéral du Plan de répondre à des questions très concrètes.
Nous avons analysé deux scénarios de mix énergétique. Le premier scénario comportait deux gigawatts de production nucléaire. Le second n’en comportait pas.
Un scénario avec plus de deux réacteurs prolongés, comme le souhaitent aujourd’hui plusieurs partis, n’a pas fait l’objet de discussions ?
Non. Par rapport à la sûreté nucléaire, prolonger les deux réacteurs les plus récents était la seule piste réaliste pour l’ensemble des partis autour de la table.
Mais à l’issue des discussions, ce scénario ne tenait plus la route…
Nous sommes arrivés à la conclusion que la sortie du nucléaire restait la voie la plus sûre. C’était également ma conviction. Une seconde phase des négociations s’est concentrée sur le mécanisme de rémunération de capacités – le CRM –, afin de vérifier qu’il permettrait bien à la Belgique de disposer de capacités de remplacement. Tout a été schématisé dans un tableau écrit à la main. Quand je suis devenue ministre, j’ai remis ce tableau au propre et nous avons commencé à travailler sur cette base.
En devenant ministre, vous n’imaginiez pas prolonger le nucléaire…
Je savais que je ne pouvais pas perdre de temps. J’ai pu commencer l’implémentation de l’accord autour de trois grands axes: la sécurité d’approvisionnement, le maintien de prix abordables et la transition énergétique. Et j’ai défini quatre dossiers fondamentaux sur lesquels il fallait avancer: le CRM, les provisions nucléaires, les déchets nucléaires et la norme énergétique. Une première évaluation devait permettre de vérifier que nous avions pu contracter de nouvelles capacités permettant la sortie du nucléaire. Mais la guerre en Ukraine a tout changé. Le scénario retenu était basé sur un prix du gaz compris entre 15 € et 20 € du mégawattheure. Quand le contexte change, il faut changer de direction.
Ne fallait-il pas travailler sur les deux scénarios en même temps ?
Pour générer des investissements via le CRM dans de nouvelles capacités de production, il fallait montrer clairement la direction prise aux marchés, mais aussi à la Commission européenne.
De plus, le dossier du CRM préparé par le gouvernement précédent était construit sur la base d’une sortie complète.
Qu’est-ce qui a manqué pour que cette sortie du nucléaire ne vire pas au fiasco ?
La Belgique a été longtemps dans une position attentiste. Et il aurait fallu réaliser plus tôt que le système de « marginal pricing » n’attirait pas d’investissements.
L’Europe semble pourtant timide pour réformer le marché de l’électricité, notamment sur ce système de fixation des prix.
Oui. Il s’agira d’un dossier que nous devrons gérer durant la présidence belge de l’Union européenne en 2024.
Plusieurs partis poussent pour de nouveaux investissements dans le nucléaire. Quelle est votre position ?
Je préfère étudier les pistes réalistes, comme la prolongation de Doel 4 et Tihange 3. Il est vrai qu’il y a une tendance vers du « nouveau nucléaire » avec de petits réacteurs (SMR), qui font l’objet de recherches au SCK CEN. Mais, à mon sens, il faudrait une technologie qui ne présente pas les désavantages d’aujourd’hui, à savoir des déchets qu’il faut gérer durant des centaines de milliers d’années ou encore le risque de prolifération nucléaire. Rappelons que c’est à partir de la technologie civile que des pays ont pu développer des armes.
L’accord final avec Engie n’est pas encore là. Pourquoi le premier délai annoncé, soit le 31 décembre, n’a-t-il pu être respecté ?
Plusieurs temps-clés sont encore nécessaires: un document avec la transaction finale pour cet été, l’accord de la Commission européenne, avant la « closing transaction » pour mars. Mais les contours de cet accord sont suffisamment forts pour qu’Engie ait accepté d’entamer les travaux nécessaires au redémarrage des deux réacteurs à l’hiver 2026: c’est l’essentiel.