Procès des attentats | Un démineur raconte: "On était là pour constater l’inévitabilité de la mort"
Enquêteurs et démineur ont témoigné des conditions de travail effroyables qu’ils ont dû vivre lorsqu’ils sont descendus dans l’enfer du métro à Maelbeek.
Publié le 09-01-2023 à 14h36 - Mis à jour le 09-01-2023 à 14h55
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"Il y avait un quart de la charge explosive à Maelbeek par rapport à Zaventem. Mais il y a eu le même effet et le même nombre de victimes." L’intervention du responsable du service des démineurs (SEDEE) a permis d’illustrer la violence de l’explosion qui a déchiqueté la rame dans le métro de Maelbeek. Les photos qui ont défilé, ce lundi, sur les grands écrans de salle du procès des attentats de Bruxelles étaient effroyables…
Lorsque le major Marteen Verburg montre les scènes de crime dans le métro, on constate un chaos absolu. "Les circonstances de travail étaient très difficiles. On se retrouve dans un espace confiné et compacté. Comme on était dans un souterrain, c’était très différent du grand hall de Zaventem." Les centaines de pièces à convictions ont ainsi été concentrées sur quelques mètres carrés. Comme son collègue l’avait déjà exposé lors de sa présentation pour les explosions à Zaventem, le major a détaillé la technique meurtrière des explosions. "Il y a une fragmentation primaire qui vient des boulons, des écrous. Puis, il y a la fragmentation secondaire. Ce sont les éléments de l’environnement qui prennent de la vitesse, qui se fragmentent. Ils ont la même force létale que la fragmentation primaire. " En témoigne cette photo au niveau de l’épicentre de l’explosion dans le métro. On constate trois embouts ronds au niveau du plancher du wagon: ce sont les socles des barres verticales à laquelle s’accrochant les voyageurs. Lors de la fragmentation secondaire, elles ont été complètement déchiquetées et ont mutilé des corps.
Des boulons et des écrous qui se retrouvaient dans le sac à dos de Khalid El Bakraoui "ont été retrouvés jusqu’à 60 mètres de l’épicentre. " Le SEDEE ne manque pas d’expérience: en Irak ou en Afghanistan, le major avait déjà enquêté sur des explosions "kamikazes". "Même si on est bien préparé, on n’est pas prêt sur l’aspect humain. On était là pour constater l’inévitabilité de la mort. " Au sein du wagon où l’explosion s’est produite, les enquêteurs peinent à effectuer leur travail. "Il fallait se mettre à quatre pattes, le nez dans les débris." Les démineurs devaient avant tout garantir qu’il n’y avait pas de risque d’une seconde explosion. "Mais je ne savais pas garantir la sécurité des enquêteurs à 100%. Ça me mettait la pression de ne pas savoir faire mon boulot."
Le temps presse aussi afin d’identifier les victimes au plus vite. "Plus on met du temps sur place, plus les familles doivent attendre pour avoir des nouvelles. On essayait de travailler au plus vite mais on était coincé entre le marteau et l’enclume. "
Dans cet enfer où se mêlent des odeurs de sang, de chair brûlée, des bruits d’alarme, les enquêteurs sont confrontés à des scènes de crime jamais vues "en 25 ans de carrière", détaille cette inspectrice de la police fédérale (DR6). Avec son collègue du "labo", elle détaille section par section, les pièces à conviction. Au sol, des cavaliers en plastique jaune pour indiquer les éléments à répertorier: un boulon, un GSM, une montre… Mais aussi une mâchoire avec des dents, des morceaux de crâne… "On n’avait plus assez de cavaliers, on a donc dû mettre des feuilles cartonnées jaunes ". On n’ose imaginer comment ces enquêteurs ont dû travailler tout en se protégeant de cette scène atroce.
Sous le quai, les enquêteurs identifient des victimes. "Dans un premier temps, il nous a été difficile de percevoir le nombre de personnes. Les corps sont enchevêtrés, présentent des brûlures, sont impactés par des projectiles divers…"
Au moment où les enquêteurs descendent dans l’enfer de Maelbeek, le réseau GSM est complètement saturé. Les téléphones ne sonnent plus. Jusqu’à un certain moment… "Les téléphones ont commencé à se rallumer. Puis des messages insistants s’affichaient. " Les proches tentent d’appeler ces victimes qui n’ont plus donné de nouvelle depuis plusieurs heures. Ces sonneries et vibrations décontenancent les enquêteurs qui tentent de s’enfermer dans une bulle. "C’était l’irruption de l’angoisse absolue. J’ai lu des messages et j’ai retourné le GSM en le mettant sur ’silencieux’. Je l’ai fait par égard pour les personnes et pour les collègues qui travaillaient aux constatations. On était dans une apnée émotionnelle, isolés des émotions de la surface. Ces GSM nous renvoyaient à quelque chose de tellement humain, de tellement vivant… " Des vivants qui ne l’étaient plus et dont les proches étaient dans une attente insoutenable…