Sur la piste d’un sabre sénégalais
Dans " Les Otages ", la journaliste Taina Tervonen enquête sur des œuvres africaines spoliées au XIXe siècle, notamment un sabre emblématique.
Publié le 02-01-2023 à 06h00
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Lorsque Taina Tervonen a commencé son enquête il y a cinq ans, à la suite du discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou (Burkina Faso) sur la restitution des biens culturels aux États africains, cette question n’avait pas l’ampleur qu’elle a aujourd’hui dans plusieurs pays européens. Mais si le personnel politique a globalement perçu son importance, bien des directeurs de musées traînent des pieds, craignant d’être privés de joyaux ou déniant à ces États la capacité de bien en prendre soin. "Ces objets ont un pouvoir singulier : ils font ressurgir l’histoire coloniale, observe la journaliste. Je me suis dit que ce serait intéressant d’en prendre un ou deux et d’aller fouiller leur histoire, de voir où ça m’amène et ce que ça me raconte." Cette "odyssée", qui va l’entraîner de musée en musée et la conduire à rencontrer un grand nombre de personnages en France et en Afrique, est tout à fait passionnante et particulièrement instructive.
Taina Tervonen s’est intéressée au butin de guerre expédié en France après la prise de Ségou en 1890 par les troupes coloniales françaises commandées par Louis Archinard. Cet ensemble est composé de bijoux, de manuscrits, d’objets usuels et, surtout, d’un sabre qui aurait appartenu à Hel Hadj Oumar Tall, chef de guerre et guide musulman très connu au Sénégal. Pays à qui, après lui avoir été prêtée à trois reprises, l’arme a été rendue en décembre 2020. "Depuis longtemps, ses descendants demandaient la restitution sans obtenir gain de cause. Alors que ces objets n’étaient pas visibles car ils étaient dans les réserves de musées français."
Mais ce sabre, dont la lame est de fabrication française, est-il le bon ? Est-ce bien celui avec lequel le petit-fils de son propriétaire, Abdoulaye, a défendu sa mère face à Archinard ? Rien n’est moins sûr. Et probablement ne l’est-il pas. "La seule “preuve” que l’on possède est une lettre écrite par Louis Archinard qui en a fait don au Musée de l’armée. Mais il avait tendance à fabuler, ces dons étaient pour lui l’occasion de se mettre en avant. Et en plus, il affirme l’avoir pris lors de la conquête de Bandiagara en 1893. Il est surtout symbolique."
Le second fil que suit Les Otages est Abdoulaye, ce garçon de onze ans que le colonel français emmène en France. Archinard n’a pas d’enfant et il a déjà ramené une fille élevée par sa sœur. C’est ce qu’on appelle "l’école des otages", composée des fils de chefs, afin que ceux-ci se tiennent à carreau et qu’ils deviennent des serviteurs fidèles de l’administration coloniale. Ce qu’Abdoulaye accomplit en partie. L’adolescent s’intègre bien puisqu’à 18 ans, il s’inscrit à l’école militaire de Saint-Cyr "à titre indigène", avec la ferme intention de devenir "un loyal officier de l’armée française", espérant ainsi être naturalisé. Sans pour autant jamais oublier ses racines. Il retournera en effet à deux reprises au Sénégal avant de mourir en 1899, à l’âge de 20 ans.
Taina Tervonen, « Les Otages », Marchialy, 249 p.