Greffe du Parlement wallon: « 13 ans d’autocratie, ça laisse des plaies »
Un énorme malaise, un greffier suspendu, des plaintes au pénal, un Bureau emporté… Après des mois de folie, le personnel du Parlement wallon respire à nouveau.
Publié le 30-12-2022 à 07h00
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"Un jour, il y a eu jusqu’à 22 articles sur ce dossier ", se souvient un des employés du greffe, au Parlement wallon.
L’homme n’est pas encore tout à fait remis de ces coups de projo à répétition sur son service, d’ordinaire voué à l’ombre, aux coulisses de l’assemblée. Réserve et discrétion, toujours et en toutes circonstances. Même face à un taux de burn-out inquiétant parmi les 114 employés.
La machine était bien huilée. Le secrétaire général du Parlement wallon, le greffier Frédéric Janssens, y veillait personnellement. Il y avait, comme il disait avec agacement, "une sorte de rumeur à bas bruit " sur ses techniques de management. Mais rien de précis, selon lui.
"Des agents dont on massacrait la santé et la carrière pour une virgule mal placée", renvoie sèchement un de ces fonctionnaires. "Ça faisait longtemps que le personnel criait dans le vide. Où est-ce que ça allait s’arrêter ?" ajoute une collègue.
Mais la marmite à pression a fini par exploser. Le greffier a été suspendu. Et, l’écheveau se démêlant peu à peu, c’est finalement tout un édifice qui a vacillé sur ses bases en cette fin 2022.
Nous avons repris contact avec certains de nos témoins de l’été dernier, qui avaient raconté ce qu’ils vivaient (lire nos éditions du 1er juillet dernier). Aujourd’hui encore, sauf pour certains devant l’auditorat du travail et les enquêteurs aucun d’entre eux ne souhaite sortir de l’anonymat. Moins par peur des représailles que par réflexe de fonctionnaire. "Après toutes ces fuites, on a besoin de retrouver des pratiques de confidentialité", glisse l’un d’eux.
Saga
Globalement, l’état d’esprit des fonctionnaires est au soulagement. Le constat est simple et vital à la fois: "C’était irrespirable. Maintenant, on peut aller travailler en respirant", résume celle-ci, qui n’osait quitter son poste sous aucun prétexte sous l’ère Janssens. Elle croise les doigts: "Je ne pense pas qu’il reviendra en mars. Mais j’espère vraiment que, ailleurs, il ne fera revivre à personne ce qu’on a enduré. En Belgique, à notre époque, dans un Parlement au service de la démocratie, nous étions dirigés par un dictateur".
Un collègue la rejoint au minimum sur ce point: "Cette gestion odieuse des ressources humaines, c’était notre quotidien. Le retour de Frédéric Janssens semble compromis. Je me sens plus à l’aise . Un poids s’est envolé . On n’est plus tout seuls contre un système", souffle-t-il.
Il n’est toujours pas revenu de l’effet domino qui a suivi la première plainte au pénal (lire en page 3). "Cette saga est totalement folle… Mais au final, le résultat, il est là. Et ça doit nous réjouir. Il ne pourra plus nous nuire, ni nuire au Parlement qui a aussi terriblement souffert",
« Ça les arrangeait »
"On avait essayé d’en parler au Bureau (NDLR: le comité restreint qui gère le Parlement wallon), à des députés. Il y avait le rapport de Mensura sur les impacts psychosociaux de sa gestion. La violence verbale et l’agressivité, c’était écrit noir sur blanc ", rappellent amèrement plusieurs agents.
"Tant qu’on se taisait, ça les arrangeait. C’est juste regrettable de les entendre dire maintenant qu’ils ne savaient pas. Et toute cette histoire, eh bien… ça a ébranlé ma confiance dans le système démocratique: ça ne réagit que quand ils sont eux-mêmes un peu en danger et secoués."
Et encore, ajoute une autre, "ça a vraiment bougé pour des histoires de salaires et de voyages luxueux. Pas parce qu’une partie du personnel se sentait maltraité. Les histoires de notes de frais et de mission à Dubaï, ça choque plus les gens que les problèmes des agents".
N’empêche, résume une employée, "personne n’aurait cru que ça allait imploser comme ça".
« Les beaux discours, ça ne suffira pas »
La démission de l’ancien Bureau et la mise en place du nouveau ont été suivies de près, au greffe. Le nouveau président André Frédéric a tout de suite adressé un mot au personnel, reconnaissant que le monde politique avait "tardé à réagir". Dans la foulée, le successeur de Jean-Claude Marcourt a fait le tour des bureaux. "Un bon point…"
Tout n’est pas réglé. Il reste des dossiers à éclaircir, des explications à donner. Il y a la peur que les auteurs des plaintes soient décrédibilisés ou que les problèmes du personnel retombent dans l’oubli. Il y a aussi une administration où chacun doit trouver ses marques. "Avant, la maison était figée. Aujourd’hui, sans cette chape de plomb, ça joue forcément un peu des coudes ", explique un agent.
Celui-ci veut aussi aller de l’avant, mais il reste sur ses gardes. "Parce que 13 ans d’autocratie, ça laisse beaucoup de plaies. Il y a de l’espoir mais il y a aussi beaucoup de méfiance . Aujourd’hui, on écoute les agents. C’est très bien. Que va-t-on en faire ? s’interroge-t-il. Bref, il ne suffira pas de beaux discours et de quelques heures d’écoute pour réparer des années de massacre."
"Pour ma part, j e veux être optimiste, sourit un agent. La greffière a.i. Sandrine Salmon fait bien son job et il y a beaucoup, beaucoup à faire. J’espère qu’ils ne vont pas tout chambouler. On a besoin de stabilité."
"Moi, j’ai envie de croire en une nouvelle dynamique, ajoute une collègue. J’espère que toutes ces pratiques appartiennent du passé. Certains ont fait leur mea culpa. Par ailleurs, ce n’est pas au Parlement de rendre la justice. De ce côté, le travail est en cours. Des collègues continuent à être cités comme témoins dans le dossier pénal. Et j’ai confiance en la justice. Et je suis très sereine", lance-t-elle.