Prix de l'énergie: "L’époque du gaz à 20 euros le mégawattheure est révolue"
2022 restera comme l’année de la surchauffe du marché de l’énergie. Surtout en Europe, forcée de se réorganiser dans l’urgence.
Publié le 28-12-2022 à 06h00 - Mis à jour le 28-12-2022 à 06h54
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Le marché mondial du gaz a été mis sous pression de façon inédite cette année suite à l’invasion russe en Ukraine, aux sanctions occidentales qui ont suivi, ainsi qu’à la décision russe de réduire drastiquement la fourniture de gaz à ses clients européens. Adel El Gammal, secrétaire général de l’Alliance Européenne pour la Recherche en Energie (EERA) et professeur de géopolitique de l’énergie à l’ULB, revient sur le basculement vécu en 2022 et dresse quelques perspectives pour les années à venir.
Est-ce que 2022 marque vraiment un tournant pour le marché mondial de l’énergie ?
Oui. On rentre dans une ère très différente de ce qu’on a connu jusqu’à présent. Premièrement parce que j’imagine très mal que dans un avenir proche, on puisse rétablir des relations commerciales avec la Russie. Cela signifie qu’une très grande partie de l’approvisionnement énergétique du monde est isolé. Deuxièmement, au niveau européen, on doit revoir complètement notre stratégie d’approvisionnement.
Que faut-il faire ?
D’abord, il faut augmenter la part des énergies renouvelables, et ensuite, il faut pouvoir remplacer très rapidement les énormes quantités de gaz qu’on importait de Russie (plus de 155 milliards de mètres cubes de gaz). Un remplacement qui se fera principalement par des apports de gaz liquéfié.
On va certainement être pendant 2-3 ans dans une situation relativement précaire
Le gaz naturel liquéfié permettra-t-il vraiment de ne plus dépendre de l’importation de gaz russe par gazoduc ?
Il y a beaucoup d’investissements qui sont faits pour le GNL mais ils ne porteront leurs fruits que progressivement. On s’attend à ce que les premières montées en puissance arrivent en 2024-2025. On va certainement être pendant 2-3 ans dans une situation relativement précaire parce qu’on va dépendre d’un approvisionnement massif en GNL sur une chaîne d’approvisionnement qui va être très fort sous tension. Si on a l’espoir de pouvoir passer cet hiver sans interruption majeure, cela risque d’être beaucoup plus compliqué pour les 2 années à venir parce qu’on aura probablement beaucoup plus de mal à démarrer l’hiver avec des stocks de gaz pleins. Les stocks de gaz en Europe étaient pleins à 95% en novembre. On avait réussi à les remplir encore avec les producteurs de gaz russes. Maintenant que ces livraisons sont quasiment à zéro, ça va être beaucoup plus difficile dans les années qui suivent.
C’est évident que l’Europe a fait preuve d’une naïveté incommensurable.
L’Europe aurait-elle dû se détacher de sa dépendance au gaz russe plus tôt ?
C’est évident que l’Europe a fait preuve d’une naïveté incommensurable. Comment a-t-on pu imaginer après 2014 (annexion de la Crimée par la Russie, NDLR) que la relation commerciale avec la Russie permettrait de développer une relation diplomatique plus stabilisée ? Peut-être que l’invasion de la Crimée en 2014 aurait dû être un avertissement majeur. L’Europe aurait dû, dès ce moment-là, commencer à se tourner vers d’autres fournisseurs que la Russie. On ne l’a pas fait.
Les énergies renouvelables pourront-elles contribuer à réduire cette dépendance au gaz que nous importons ?
Même si on accélère très fort dans l’éolien, le solaire, le biogaz, les biocarburants et l’hydrogène, on n’arrivera jamais du jour au lendemain à remplacer 155 milliards de gaz. Cela va se faire progressivement sur plusieurs années. De plus, ce n’est pas totalement équivalent. La plupart des énergies renouvelables, quand on parle du solaire et de l’éolien, produisent de l’électricité verte. Le gaz produit de la chaleur, donc cela modifie également les équilibres énergétiques entre différents vecteurs d’énergie. Tout cela demande une restructuration quand même assez profonde de notre système énergétique.
On doit s’habituer à une énergie beaucoup plus chère
En tant que consommateur doit-on désormais s’habituer à des prix de l’énergie plus élevés ?
Oui, peut-être pas aussi élevés que ceux que l’on connaît aujourd’hui, mais je pense que l’époque du gaz à 20 euros le mégawattheure est révolue. On doit s’habituer à une énergie beaucoup plus chère. La seule chose qui pourrait vraiment faire descendre les prix, ce serait un très fort ralentissement de l’économie mondiale, donc une très forte diminution de la demande au niveau global, ce qui, à mon sens, est extrêmement peu plausible. On sera dans une situation de tension énergétique pour les années qui viennent. La modération sera importante, à tout point de vue.