Le Sénat, un parlement quasi tombé dans l’oubli (infographie)
Le Sénat a-t-il encore une utilité dans le paysage politique belge ? Certains mandataires semblent peu concernés par la chambre haute.
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- Publié le 17-12-2022 à 06h00
- Mis à jour le 17-12-2022 à 09h21
Depuis la dernière réforme de l’État, le Sénat est devenu un espace de dialogue entre élus des entités fédérées.
Face à un rôle qui n’est pas très clair, nombreuses sont les voix qui s’élèvent aujourd’hui pour que l’on supprime cette assemblée. Un débat qui s’est invité ce vendredi dans l’hémicycle à l’occasion du vote du budget 2023 du Sénat.
Pour rappel, à l’issue du conclave budgétaire d’octobre, le gouvernement avait demandé au Sénat de réaliser 15 millions d’euros d’économies sur 2023 et 2024 sur ses frais de fonctionnement. L’exécutif avait également demandé au Sénat de mettre en œuvre un plan de transition vers une institution ayant un nombre limité de fonctions.
Sans surprise, les partis de l’opposition – la N-VA, le Vlaams Belang, le PTB et les Engagés – ont voté contre le budget. Ils ont fait remarquer que l’économie attendue par le gouvernement fédéral de 7,5 millions d’euros n’était pas au rendez-vous et que le budget fédéral prévoyait 35 millions d’euros pour le Sénat alors que l’assemblée demande 41 millions. Les sénateurs N-VA Karl Vanlouwe et Andries Gryffroy l’ont rappelé: à leurs yeux, le Sénat "n’apporte pas de plus-value politique".
Un constat que ne partage pas le sénateur bourgmestre d’Anderlecht, Gaëtan Van Goidsenhoven (MR): "Quoi de plus normal pour la N-VA et le Vlaams Belang que de torpiller le Sénat puisqu’il est un symbole de l’unité de notre pays", a-t-il lancé à la tribune. "La nouvelle tactique de ces partis consiste à dire et répéter que le Sénat ne sert à rien et qu’il coûte, quoi qu’il en soit, beaucoup trop cher."
Qui vient encore ?
Mais si les médias et le public ont déserté les travées de ce parlement, qui ne se réunit en séance plénière plus qu’une fois par mois, qu’en est-il des sénateurs ? Pour répondre à ces questions, nous avons analysé neuf séances plénières, entre le 19 novembre 2021 et le 18 novembre 2022. Une période qui, contrairement aux années précédentes, n’a plus été marquée par des mesures de restrictions liées au Covid-19. Or, sur ce laps de temps, force est de constater que certains sénateurs sont loin d’être assidus. En moyenne, seuls 45 sénateurs sur 60 étaient présents. Cela signifie que si l’on analyse les votes et les interventions, un sénateur sur quatre n’est pas là pour ces séances plénières. Missions à l’étranger, motifs médicaux, empêchements liés au travail dans le parlement régional… En moyenne, sur 15 absents, 10 mandataires se sont excusés. Cela signifie qu’un absent sur trois… n’est pas venu sans même prévenir le greffe
« Le Sénat est déjà un peu mort »
Poser la question du Sénat, c’est inévitablement poser la question de son avenir. Stop ou encore ? On fait le point avec la politologue Caroline Sägesser (CRISP).
La 6 réforme de l’État a réduit fortement les compétences du Sénat. À quoi sert-il encore ?
Le Sénat est toujours compétent par exemple pour l’égalité de financement des partis ou les lois spéciales. C’est fort peu de chose. Normalement, il aurait dû fonctionner comme un lieu de rencontre, de dialogue entre les entités fédérées, mais il ne tient pas vraiment ce rôle.
Pourquoi ?
C’est une chambre haute fort différente de celles d’autres états fédéraux comme l’Allemagne ou la Suisse. Ou même les États-Unis où l’on compte 2 sénateurs par État et où il faut la double majorité pour certaines lois. Le Sénat belge n’a pas de représentation équilibrée des entités: 29 sénateurs viennent du Parlement flamand, 8 du Parlement wallon, 1 du Parlement germanophone… Et ce, en raison de la position binaire de notre fédéralisme, basé sur deux blocs: francophones et néerlandophones.
Lorsqu’en 2014, on décharge le Sénat de certaines compétences, est-ce déjà une marche vers la suppression de cette institution ?
À l’époque, c’est un compromis entre ceux qui étaient attachés à l’institution et ceux qui voulaient la faire disparaître. Et tout se fait dans un contexte de transfert des compétences vers les Régions et un affaiblissement du fédéral. À noter qu’en Belgique, on ajoute plus facilement des couches à la lasagne institutionnelle qu’on en retire.
Certains estiment que le Sénat ne sert « qu’à recaser des politiciens qui n’ont pas été élus ».
Quand on prive une institution de compétences, on la prive de sa légitimité. Il fut un temps où être sénateur, c’était prestigieux, une fonction importante, juste en dessous de celle de ministre. Aujourd’hui, ce sont les entités fédérées qui envoient leurs représentants pour quelques réunions par an. Je ne sais même pas comment les groupes politiques décident qui envoyer… Ce n’est plus un rôle aussi convoité qu’avant. Les députés de la Région bruxelloise aiment par contre aller au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, parce qu’il y a là effectivement des compétences et des dossiers à examiner.
Or le Sénat, c’est 39 millions€ par an…
Il n’y a plus suffisamment de compétences pour justifier cette organisation. Il faut prendre une décision politique. Soit on le supprime mais ce serait dommage de se priver d’un pan de la démocratie. Soit on renforce ses compétences, ce qui est peu probable vu la direction que cela prend. Ou on le transforme en une assemblée participative – une proposition de plusieurs partis -, où l’on fait délibérer des citoyens. Des expériences fonctionnent en Communauté germanophone (conseil citoyen). Mais c’est plus facile à instaurer dans de petites entités.
Supprimer le Sénat reviendrait-il à affaiblir la démocratie ?
En l’état, on peut supprimer sans trop de difficulté le Sénat. Il est déjà un peu mort. On ferait par contre progresser la démocratie en réinstaurant une vraie double chambre.
Supprimer, renforcer, transformer le Sénat: quelle formule faut-il privilégier ?
En tant que Suissesse, je suis très attachée à une chambre haute qui représente l’intérêt des entités fédérées, tout en rendant à cette assemblée des compétences législatives. L’intérêt du bicaméralisme est d’avoir une double discussion, une double représentation. Le Sénat reste un rouage indispensable à un fédéralisme mature qui organise et représente les entités fédérées. D’ailleurs, c’était l’idée à la base. C’est une institution qui a une glorieuse histoire mais qui semble vivoter désormais. Elle ne joue plus un rôle déterminant en politique fédéral. Et est d’ailleurs très peu médiatisée.
Quels sont ses principaux faits d’armes ?
Dans les faits marquants de cette législature, je ne vois que la polémique autour de la désignation de Zakia Khattabi à la Cour constitutionnelle. Ou la commission mixte pour préparer une 7e réforme de l’État.
Un débat qui reviendra aux élections ?
À moins d’être dans une situation économique ou géopolitique très grave, on va très probablement vers une 7e réforme de l’État après les élections 2024. La N-VA ne montera pas dans un gouvernement sans, en tout cas. Et il faudra inclure l’avenir du Sénat dans ces discussions.
Le Sénat, un enjeu de cette 7e réforme ?
Non, ce ne sera pas un enjeu déterminant. Il y a surtout la volonté flamande d’avoir plus de budget pour les entités fédérées, des questions sur la sécurité sociale, le fonctionnement des institutions (formation du gouvernement, complexité entre Cocof, Cocom,…), etc. CA.F