”C’est un miracle qu’on ait retrouvé Natacha” : les parents de la Belge retrouvée morte au Pérou reviennent sur les balbutiements de l’enquête (vidéo)
Natacha de Crombrugghe, une Belge de 28 ans retrouvée morte au Pérou, a-t-elle vraiment été victime d’une chute accidentelle ? Ses parents, qui ont remué ciel et terre pour faire avancer l’enquête, attendent les conclusions de celle-ci, espérées début 2023. Près d’un mois après être rentrés en Belgique avec le corps sans vie de leur fille, Eric et Sabine témoignent. Récit de longs mois d’une horreur indescriptible.
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Publié le 17-12-2022 à 04h00 - Mis à jour le 17-12-2022 à 09h43
Natacha de Crombrugghe croquait la vie à pleines dents. Solaire et dynamique comme en témoignent les photos apposées dans la maison familiale de Linkebeek, en périphérie bruxelloise, Natacha de Crombrugghe faisait la fierté de ses parents, Eric et Sabine, mais aussi de ses trois frères. De ses nombreux amis d'école, des scouts ou encore du hockey qui, depuis l’annonce de la découverte du corps sans vie de la jeune juriste lors d’un voyage au Pérou en janvier dernier, ont multiplié les hommages, et rassemblé des objets, photos et petits mots dans une malle pour qu’elle les emporte pour l’éternité avec elle. Comme le doudou qu’elle ne quittait jamais qui a servi au chien pisteur pour effectuer les recherches.
À 28 ans, après ses études de droit et avoir travaillé durant quatre ans pour le Groupe d’Assurances Allianz, Natacha a entrepris un voyage en Amérique latine. Un périple qui aurait dû durer six mois pour lui permettre de réfléchir à ce qu’elle souhaite réaliser de sa vie. Le 1er janvier 2022, Natacha s’est donc envolée pour le Pérou, avant de disparaître le 24 janvier à Cabanaconde, petite bourgade des Andes, où elle devait partir pour un trek dans le canyon de Colca.
Au Pérou, il n’y a pas d’investigation pour homicide en cas de disparition et sans preuve l’affaire est classée après 6 mois
”Les premières semaines, cela a été un stress pas possible”, nous dit Sabine, la maman de Natacha. “Il fallait convaincre les gens de rechercher Natacha non seulement dans le canyon mais aussi d’envisager la piste criminelle. Car elle pouvait tout aussi bien être perdue ou accidentée, qu’avoir été agressée.” Parce qu’en cas de disparition au Pérou, “tant qu’on n’a pas d’indices, ils ne cherchent pas”. “En fait, il y a plus de 1.000 femmes déclarées disparues chaque mois au Pérou. Cela s’explique par le fait que c’est un pays machiste, avec beaucoup de violence faite aux femmes et surtout de traite des femmes.”
Ses parents, Eric et Sabine, sont encore en contact avec leur fille le 20 janvier. Natacha leur raconte le début de son périple. Et il n’y a pas lieu de s’inquiéter, tant la jeune femme est débrouillarde et sportive. Elle compte se rendre seule à Cabanaconde et dans le Canyon de Colca, pour y faire un trek. “L’idée de Natacha était de rester quelques jours là au fond de ce canyon paradisiaque pour se recueillir, se ressourcer, se reposer.” Le jour de son anniversaire, elle a pris un ticket d’avion pour un vol Lima – Bogota programmé le 4 février. “Après 3 semaines d’excursion organisées en groupe, elle voulait voyager autrement : faire du volontariat, se rendre chez l’habitant”, raconte Sabine qui, avec son mari, revient sur ce voyage. Ou plutôt sur ces longs mois d’angoisse. Car la jeune femme disparaît le 24 janvier. Et ce, après avoir passé la nuit à La Estancia, un petit hôtel local "clandestin, sans registre ni autre touriste", selon les parents. "Il y avait de nombreuses incohérences dans les témoignages de la famille propriétaire des lieux et surtout ils n’ont prévenu personne alors que Natacha leur avait dit revenir après quatre, cinq jours pour rechercher son sac à dos", insiste la maman de la Bruxelloise. Troublant.
Si “au départ”, les parents de Natacha ne s’inquiètent guère de ne pas avoir de nouvelles de leur fille – “elle souhaitait se déconnecter de tout et se reposer”, répète sa maman – cela ne lui ressemblait pas de ne plus en donner après une semaine. Ses amis lancent l’alerte le 2 février avec un avis de disparition diffusé sur les réseaux sociaux. Ceux qui parlent espagnol contactent tous les hôtels. L’un des hôteliers retrouve son sac à dos. S’ensuivent d’innombrables recherches dans le Canyon d'abord par des guides volontaires rejoints par la suite par plus de septante policiers et secouristes de Hautes Montagnes durant plus de trois semaines. Mais aussi trois voyages pour Eric et Sabine de Crombrugghe, qui signalent la disparition de leur fille à la police belge le 4 février. Sur place, les parents mènent leur propre enquête, y rencontrent chaque témoin. Et tentent d’avoir la confiance de la population afin d’obtenir des informations. Dès leur arrivée, avec le Consul de Belgique qui les a accompagnés sur place, ils réunissent les différents groupes de guides "pour coordonner les recherches dans la canyon". “On les a réunis dans la maison communale pour avoir des cartes, et qu’on puisse avancer dans les recherches”, nous dit son papa.
"On a dû faire trois heures de voiture pour aller voir un témoin qui avait voyagé dans le même bus que Natacha."
Les recherches se poursuivent. Les réunions s’enchaînent tant à Cabanaconde que virtuellement avec la Belgique. Des commissions rogatoires internationales sont envoyées par la Belgique au Pérou pour demander l’envoi de policiers belges au Pérou. D’importants moyens sont déployés. Un chien pisteur et un drone muni d’une caméra thermique ratissent la zone. “On leur a demandé de vérifier toutes les caches possibles dans le village”, précise Sabine.
Nombreuses rumeurs : une voiture ayant embarqué Natacha durant la nuit, un corps enterré quelque part...
Les policiers interrogent les témoins et effectuent une analyse au Luminol pour détecter des traces de sang dans les trois hôtels: le premier où Natacha a été filmée mais qui était trop cher; le second fermé parce que le propriétaire avait le Covid mais où Natacha s’est branchée au wifi et le troisième où elle a passé la nuit et laissé son sac à dos. En vain. Les parents ne lâchent pas les bras. Ils multiplient les rencontres "à la recherche de témoins qui acceptent de faire une déposition corroborant les nombreuses rumeurs : une fête à l’hôtel, une voiture ayant embarqué Natacha durant la nuit, un corps enterré quelque part, une cache isolée…"
“On a dû faire trois heures de voiture pour aller voir une femme qui s’était retrouvée dans le même bus que Natacha. Elle avait peur des policiers. Parce que des gens qui ont parlé” dans le cadre d’autres enquêtes “ont été suspectés et ont été mis en prison. La police a une puissance énorme là-bas.”
"Jusqu'au bout, on a gardé espoir de la retrouver vivante. Elle aurait pu se perdre, tomber dans un ravin ou être blessée et survivre quelques semaines car il y a de l’eau et des fruits un peu partout dans le canyon. Ou elle aurait pu être séquestrée, emmenée, vendue."
Trois policiers belges en appui au Pérou
Après trois semaines, les parents de Natacha peuvent compter sur l’arrivée de trois policiers belges au Pérou "afin de collaborer avec les policiers péruviens". “On a eu énormément de soutien de la part de l’Ambassade et des Affaires étrangères belges. On a insisté pour que les policiers belges soient dans le même hôtel que nous, pour qu’on puisse être en contact avec eux. Et travailler ensemble. Nous connaissons Natacha et avions réuni beaucoup d’informations grâce aux appels téléphoniques et aux réseaux sociaux initiés par ses amis." Et des liens d’amitié se sont noués avec les policiers. Pourtant, ce n’était pas gagné. “Avant de partir pour le Pérou, la cellule de crise ne comprenait pas pourquoi nous voulions nous rendre sur place mais avec le recul ils ont reconnus que notre rôle a été crucial. Nous avons été le moteur de toutes les recherches." Sabine enchaîne : “Notre présence et insistance ont permis l’importance des moyens déployés et la poursuite des recherches arrêtées début mars lorsque nous sommes rentrés en Belgique. Il était impossible pour nous de rester en Belgique et reprendre une vie normale, de ne plus être informé que par les médias et de ne pas pouvoir agir. Il fallait retrouver Natacha et retourner au Pérou au plus vite car si elle était vivante chaque jour compte."
Les parents de Natacha le reconnaissent : "Jusqu'au bout, on a gardé espoir de la retrouver vivante. Elle aurait pu se perdre, tomber dans un ravin ou être blessée et survivre quelques semaines car il y a de l’eau et des fruits un peu partout dans le canyon. Ou elle aurait pu être séquestrée, emmenée, vendue. Nous étions angoissés et avions l’impression de l’abandonner en rentrant en Belgique fin février avec les policiers belges."
Rentrés en Belgique fin février, Eric et Sabine apprennent que sans indices, l’enquête est à l’arrêt. Au Pérou, il n’y a pas d’investigation pour homicide en cas de disparition et sans preuve l’affaire est classée après 6 mois. “Le cas de Natacha est considéré comme une disparition et non comme un homicide.” Il faut attendre la découverte du corps de Natacha. Ou avoir des indices probants pour que les recherches se poursuivent. Mais comment trouver son corps sans enquêter ? Les parents restent à Cabanaconde pour mener leur propre enquête. "Pour avoir la confiance des gens et délier les langues, nous vivions dans le village et allions à leur rencontre."
Une récompense de 15.000 dollars pour toute information permettant de retrouver leur fille est offerte. Fin mai, après avoir organisé une marche de l’espoir pour Natacha et Kevin, le jeune péruvien tombé dans la rivière le lendemain de la disparition de Natacha, les parents se rendent à Lima pour faire pression sur les autorités afin qu’une nouvelle enquête pour homicide soit menée et ou chercher un éventuel enquêteur privé. En juin, les parents obtiennent le soutien du ministère de la Défense du Peuple et de l’ONG Flora Tristan (Militantes féministes) et du ministre de la Justice pour envoyer à Cabanaconde une équipe de policiers spécialisés de Lima.
Rentrés en Belgique en été, les parents reviennent au Pérou début septembre pour accompagner la troisième mission des policiers de Lima, convaincus qu’il s’agissait à 90% d’un homicide. En effet, le canyon avait été fouillé à 98% sans aucune trace de Natacha et les langues commençaient à se délier. La rivière avait été explorée une première fois en juin à la recherche des corps de Kevin et Natacha mais seul le pantalon du jeune péruvien avait été repêché.
Le corps découvert par 3 pêcheurs : les parents comptaient justement y mener une expédition 4 jours plus tard
Alors que les parents apprennent qu’une zone de la rivière difficilement accessible de 20 kms entre les ponts de Choco et Canco n’a pas été explorée, ils comptent organiser une expédition dans cette zone. Quatre jours plus tôt, trois pêcheurs découvrent un corps dans le lit de la rivière Colca, à une quarantaine de kilomètres du pont de Llahuar, celui que Natacha aurait dû emprunter pour se rendre au lodge où elle devait rencontrer un couple d’amis et à une dizaine de kilomètres du pont de Llahuar et une dizaine de kilomètres du pont de Choco. “Quatre jours après la découverte des pêcheurs, on aurait donc retrouvé Natacha.”
”Son corps était momifié”, nous dit son papa. “Il aurait passé 4 mois sous l’eau et 4 mois en dehors.” “C’est un miracle qu’on ait retrouvé Natacha”, dit sa maman. “Sa tête est restée coincée entre deux rochers sinon elle serait peut-être dans l’océan. Cela nous a sauvés quelque part, parce qu’on l’a retrouvée.”
"Lorsqu'on a été la voir à la morgue, il lui restait un petit piercing à l'oreille, que j'ai reconnu sur des photos. On savait que c'était elle..."
L’analyse ADN viendra confirmer que c’est bien le corps de leur fille. Mais les parents de Natacha le savaient déjà : “Il lui restait un petit piercing à l'oreille que j’ai reconnu sur les photos”, dit son papa. Selon ses parents, Natacha a été retrouvée à 40 km de sa chute ! “Il y a deux possibilités selon nous. Soit Natacha a été voir un geyser situé à 200 mètres du pont de Llahuar et peut-être qu’en voulant se pencher pour prendre des photos, elle est tombée dans l'eau. Soit Natacha a suivi Maps.me, une application qu’elle utilisait pour ses randonnées, qui indique un chemin très raide vers un pont en bois. Et ça glisse. En plus, quand Natacha y est allée, c’était la saison des pluies, et c’est très possible qu’elle ait glissé jusque dans la rivière, comme nous l’a informé un touriste belge ayant emprunté ce chemin." La maman de Natacha poursuit : “Si elle avait été jetée du pont, son squelette présenterait de nombreuses fractures, ce qui n’est pas le cas."
Deux mois pour récupérer son corps
Fin novembre, le corps de Natacha pourra être rapatrié avec ses parents au terme d’une multitude de batailles administratives et judiciaires. “Dès le 7 octobre, nous pouvions récupérer son corps. Nous attendions des instructions des policiers et des procureurs qui désiraient des analyses complémentaires. On espérait être rentré fin octobre, mais cela a pris près de deux mois.”
«Tu as tant rempli nos vies»: revivez le vibrant hommage à NatachaSi les mésaventures sont nombreuses (comme “la rivalité entre les policiers de Lima et d’Arequipa”, les problèmes de juridiction entre les différents procureurs en charge de l'enquête, etc.), les parents de Natacha ne remercieront jamais assez la Belgique “qui a débloqué la situation” et dont “le ministère de la Justice a pris tous les frais de rapatriement à sa charge”.
”L’enquête n’est pas clôturée”
Après une première autopsie au Pérou, des examens complémentaires ont eu lieu en Belgique pour déterminer la cause de son décès. “L’enquête n’est pas clôturée”, précise le papa de Natacha. “Les enquêteurs de Lima ont mené des investigations qu’on ne connaît pas complètement. Et ici en Belgique, on attend les résultats de l’autopsie pour savoir si elle est morte noyée, si elle a été droguée. Il doit encore y avoir une réunion entre les autorités belge et péruvienne pour qu’elles partagent leurs conclusions.”
Les résultats des enquêtes belge et péruvienne devraient être dévoilés dans le courant du mois de janvier 2023.
”La thèse de l'accident me convient”, explique la maman de Natacha, Sabine. “Je l’imagine pleinement heureuse avant de tomber et de mourir sans même s’en rendre compte, emportée par les flots glacés et tumultueux de la rivière." Eric, lui, est plus perplexe. “Il y a eu tellement de points d’interrogation que je veux qu’on aille jusqu’au bout. Je souhaite vraiment qu’on ferme toutes les portes, même s’il y a beaucoup de chance que ce soit un accident.” Et la maman de Natacha d’ajouter : “Avec tout le remue ménage médiatique, la jeter dans la rivière est une solution envisageable."
”Natacha est avec nous”, glissent ses parents qui ont mis leur travail entre parenthèses cette année, avant de conserver l’urne funéraire installée au cœur du salon familial et dont les paillettes et bouts de miroir illuminent la pièce. “Nous ne sommes qu’au début de notre processus de deuil. On espère terminer les démarches administratives dans les prochains jours pour refermer ce chapitre.”
Un livre sur l’histoire de Natacha écrit par ses parents
Avant la pandémie du Covid-19, Sabine, la maman de Natacha, s’est lancée avec une amie dans l’écriture de mémoires de personnes âgées. Naturellement, elle “a commencé à écrire l’histoire de Natacha”.
"En février lorsque nous avons récupéré le sac à dos de Natacha, j’y ai trouvé son carnet de voyage et commencé à y raconter ce que nous vivions. Il m’a accompagné durant ces dix derniers mois. On verra si nous l’éditerons ou pas.”
Sabine et Eric comptent retourner au pays avec leurs trois garçons et partir ainsi “sur les traces de Natacha” "et retrouver les nombreux amis" qui les ont accompagnés et aidés au Pérou. Mais pas avant 2024 sans doute.
Une plaque funéraire scellée sur un rocher péruvien en mémoire de Natacha
Une plaque funéraire en sa mémoire sera prochainement cimentée sur un rocher à Cabanaconde, au départ du chemin menant à Llahuar. “La plaque, des amis péruviens se chargent de la placer prochainement”, expliquent ses parents. “On voulait laisser quelque chose là-bas.”
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Des dons financiers provenant de plus de 700 personnes les ont aidés pour leurs voyages
Sabine et Eric ne remercieront jamais assez les plus de 700 personnes, amis ou anonymes qui les ont aidés financièrement, tous ceux qui les ont soutenus par des messages d’encouragement et ceux qui les ont aidés sur place et en Belgique. Cette solidarité les a énormément touchés.
“C’était aussi un soutien moral. Les gens voulaient qu’on continue à la rechercher sur place. Ils nous donnaient de l’espoir et on a entretenu cet espoir grâce à eux. Et il fallait le garder : il y avait toujours une chance qu’elle soit vivante. Et tous ensemble nous avons réussi à la retrouver."
