Secteur construction en tension : le prix des matériaux va encore augmenter
Après avoir un peu diminué, le prix des matériaux devrait repartir à la hausse en 2023. Surtout ceux intenses en énergie.
Publié le 16-12-2022 à 07h00
:focal(544.5x371.5:554.5x361.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/IR223WGNNNBRHOQNE2AGLHUJ3Y.jpg)
Après une envolée des prix sans précédent, on pouvait espérer que l’année 2023 marquerait le début d’une lente diminution des prix des matériaux de construction ou, au moins, d’une certaine stabilisation. Il n’en sera rien…
"On aura une hausse plus que substantielle en janvier, en moyenne plus de 20%", dit un responsable commercial d’une grande entreprise de matériaux de construction. Qui préfère rester anonyme au vu du contexte tendu sur les prix entre industriels et acheteurs.
Mais les tarifs du début 2023 qu’il a consulté sont sans appel: le prix des briques et du ciment grimpera de 20% en moyenne, les matériaux d’isolation de 20 à 25%, les tuiles de 28%…
"Ce sont tous les matériaux du gros œuvre qui vont être impactés", dit-il. Or, ce sont des matériaux dont le prix avait déjà fortement augmenté entre décembre 2021 et la fin de cette année.
Ainsi, selon les chiffres d’Embuild Wallonie (anciennement confédération de la construction wallonne), le ciment a pris 32,7% et les briques 8,7% l’an dernier.
"On ne peut pas encore faire de projection sur l’ensemble de l’année 2023, mais il est certains que les prix resteront élevés", indique également Salim Chamcham. Pour l’économiste d’Embuild Wallonie, il est évidemment illusoire d’espérer retrouver des prix d’avant la crise covid. "Même si on ne devrait plus avoir de pics de prix comme on a pu en connaître."
Ce fut notamment le cas avec le prix du bois de construction qui, après avoir doublé depuis 2020 à cause d’une grosse demande américaine et chinoise avec la reprise post-covid, a ensuite connu une diminution de 18% entre 2021 et 2022.
Mais la situation est différente ici. Ce sont surtout les matériaux à haute intensité énergétique qui vont morfler l’an prochain. Briques, ciment, tuiles, carrelages… sont autant de matériaux qui doivent être cuits à haute température et qui coûtent cher aussi en transport. Et là, c’est évidemment la guerre en Ukraine et ses conséquences sur le prix de l’énergie qui font mal.
Mais cet élément n’a-t-il pas déjà été intégré en 2022, lorsque le prix de certains matériaux avait été multiplié par 4 ou par 5 au printemps ? En partie seulement…
"Car les fabricants ont fait le gros dos en espérant que la situation se calme et ils n’ont pas répercuté la totalité de la hausse de leurs coûts", explique notre commercial en matériaux. Or, la situation ne s’améliore pas. Ils répercuteront leurs pertes de marge de 2022 sur 2023…
Élément aggravant: au fil de l’année 2022, des industriels qui bénéficiaient encore de contrats de fourniture d’énergie conclus à des prix d’avant-guerre en Ukraine ont vu ceux-ci arriver à échéance… "Et vu le contexte d’insécurité qui persiste, la plupart d’entre eux n’osent pas investir dans de nouveaux outils de production pour répondre à la demande", ajoute le commercial.
Une demande qui reste forte sur le marché mondial et un prix de l’énergie qui ne fléchit pas: le cocktail est donc explosif pour l’année à venir. Même s’il ne faut pas exclure non plus des baisses de prix sur des matériaux moins gourmands en énergie. Prix élevés et/ou volatils sont donc au programme de l’an prochain.
Dans ce contexte, les candidats à la construction et à la rénovation doivent-ils patienter en attendant une embellie ? Non, estime Salim Chacham. "Car les prix resteront structurellement hauts et les taux d’intérêt continueront à augmenter. Or, rénover permet de diminuer sa facture énergétique et améliorer la valeur de son bien", dit-il.
INQUIÉTUDE CHEZ LES ARCHITECTES : « Certains collègues sont en grande difficulté »

Les architectes ne savent plus sur quel pied danser. "Alors qu’en 2020-2021, les prix du bois et du métal augmentaient fort, sous la pression des marchés chinois et américains, ce sont aujourd’hui les matériaux cuits – briques, tuiles, blocs en terre cuite – qui explosent, alors que le métal et le bois sont stabilisés, voire en baisse", dit Frédéric Devlieger, responsable de la Chambre wallonne des architectes.
Or, les blocs de béton et les briques sont utilisés dans la majorité des constructions belges. "L’augmentation de leur prix est liée au coût de l’énergie. Et la raréfaction est d’autant plus grande qu’on ne cuit plus que par gros lots. Il y a parfois des chantiers qui doivent être postposés à cause de cela."
L’architecte constate aussi que de nombreux clients reviennent chez lui, parce qu’à cause de l’augmentation du coût des matériaux, le prêt bancaire n’est plus suffisant. "Ils se retrouvent avec un budget supérieur de 10 à 15%. L’alternative qui se présente à eux, c’est soit un apport supplémentaire, soit aller chez l’architecte pour modifier le projet ou le postposer. "
Difficile d’anticiper
Les architectes ont du mal à anticiper l’évolution du marché et choisir le matériau qui sera le moins coûteux quand le chantier sera mis en route, un an à 1 an et demi plus tard. "On sait que le bois et le métal sont stables pour l’instant, pour 15 jours, un mois… Mais on ne sait pas quelle nouvelle crise va nous tomber dessus !"
"Dans le cadre d’un chantier public à Jurbise, ce n’était pas possible de postposer. On a dû proposer au client de changer de format de tuile… tout en restant dans la même gamme de couleur et sur un modèle plat", explique Frédéric Devlieger. Il ajoute que le même problème se pose au niveau du système de chauffage. "On recommandait les pompes à chaleur, mais l’électricité est devenue très chère. Quant au gaz, qui était bon marché il y a un an et demi, cela a explosé. Même chose pour le pellet ou le mazout ! Le problème, c’est que la Belgique est un petit pays, qui ne fait pas le poids face à la spéculation mondiale."
Les architectes doivent parfois réadapter leurs plans au fur et à mesure. "Il faut parfois revoir le responsable PEB, pour des changements du mode de chauffage et d’isolation. Mais cela a un coût. Et de nombreux bureaux d’architectes sont en difficulté à cause des clients qui renoncent à leur projet."
L’AVIS DE L’ÉCONOMISTE : Les prédictions 2023 sur fond de récession
Selon Wouter Thierie, économiste chez ING, l’état des lieux de la construction en Belgique est moins bon qu’ailleurs en Europe. "Le secteur construction a chuté davantage en Belgique que la moyenne européenne lors du 1er confinement. Et en juillet 2022, le volume était inférieur de 6,1% par rapport à l’activité de juillet 2019, alors que l’activité dans l’Union européenne a retrouvé un nouveau supérieur d’1,9% en comparaison à avant la pandémie."
Le prix des matériaux a évolué à la baisse. "Le prix de l’acier a baissé considérablement, avec le ralentissement de l’économie mondiale. La raison est la faible demande en provenance de la Chine, qui doit encore faire face aux effets des lockdowns liés au Covid et à des problèmes dans le secteur de l’immobilier. Le prix du bois a baissé, mais il reste encore assez élevé, tout comme le plastique."
Une année 2023 difficile en perspective
L’économiste prévoit de nouvelles augmentations de prix dans les prochains mois. "La Commission européenne mesure chaque mois, par le biais d’enquêtes, le nombre d’entreprises de construction qui ont l’intention d’augmenter leurs prix. Même si les chiffres des prix ont chuté fortement en novembre, ils restent historiquement hauts. Pour les projets à venir, les augmentations seront inévitables. "
Parallèlement, la demande pour de nouvelles constructions diminue. "Par exemple, le nombre d’emprunts hypothécaires était en octobre 26% plus bas qu’en octobre 2021. À cause du prix des matériaux de construction, mais aussi de l’augmentation des taux d’intérêt et du ralentissement de l’économie dû à l’inflation et au prix de l’énergie." L’augmentation salariale s’ajoute à ces problèmes "Les coûts salariaux liés à l’indexation automatique handicapent le secteur par rapport aux pays voisins. Cela ajoute une pression supplémentaire sur les marges bénéficiaires."
En 2023, l’économiste s’attend à une inflation autour de 6,4%, ce qui augmentera encore les écarts de coûts salariaux. Mais selon M. Thierie, les coûts diminueront au fur et à mesure que l’économie plongera davantage dans la récession. "Avec la baisse de la demande, il sera difficile d’implémenter de nouvelles augmentations de prix. Les matériaux continueront à baisser, à cause de la diminution de la demande mondiale, plus spécialement en Chine. La reprise en Chine en 2023 est la grande inconnue: l’activité sera faible en début d’année, mais elle pourrait redémarrer plus tard, ce qui provoquerait un rebond des prix de beaucoup de marchandises dans la deuxième moitié de l’année. Quant au prix de l’énergie, il restera élevé en 2023, donc les prix des matériaux de construction à fabrication énergivore resteront sous pression."