Festival d’Angoulême 2023 : Bastien Vivès, ou la drôle de polémique

Accusé d’apologie de la pédophilie ou de l’inceste, le jeune dessinateur français est au cœur d’une polémique un peu absurde, autour de l’exposition de son œuvre lors du prochain Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, et notamment de planches issus d’albums sortis en… 2011 et 2018. Des pétitions circulent, cependant que l’auteur se défend. Explications.

Le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême (FIBD), dont la 50e édition se déroulera fin janvier, ne s’attendait sans doute pas à faire la une de l’actualité aussi tôt: depuis la fin de la semaine dernière, le rendez-vous angoumoisin, Mecque assumée du neuvième art, est dans l’oeil du cyclone.

En cause ? La rétrospective qui y sera consacrée à Bastien Vivès, jeune prodige de la BD à qui l’on doit la série Lastman ou les romans graphiques Le goût du chlore, Polina ou Le chemisier, et la présence de planches issues des Melons de la colère et de Petit Paul, deux œuvres qui, selon ses détracteurs, feraient l’apologie de l’inceste, du viol ou encore de la pédo-pornographie. Rien que ça.

 Bastien Vivès
Bastien Vivès ©Dupuis

Plusieurs pétitions ont été déposées, tandis que c’est (comme souvent) sur les réseaux sociaux qu’a débuté cette campagne de dénonciation. "[Bastien Vivès] continue à être vu et traité médiatiquement comme un ado turbulent et talentueux. Alors que c’est un réac de 40 piges (NDLR : 38, en fait) dont certaines œuvres participent activement et en plein jour à la banalisation de la pédophilie et à la culture du viol", dit l’un des tweets les plus relayés. La chose a fait boule de neige, poussant même certains auteurs, comme Boulet, à prendre parti contre Bastien Vivès.

Du « premier degré », vraiment ?

Andrea Bescond, la réalisatrice française des Chatouilles, un film qui évoque la pédophilie et la façon dont elle fut elle-même abusée enfant, a également produit un post Instagram dans lequel elle dénonce cette exposition. Et où elle mélange tout, rappelant par exemple, dans un parallèle disons particulier, que "18 enfants sont violé.e.s toutes les heures en France". Et refusant d’accorder à Bastien Vivès le droit de se revendiquer de l’esprit Charlie Hebdo: "Charlie, ça dénonce, là, c’est du premier degré".

Difficile, à la lecture de ce réquisitoire (et quand on connaît les ouvrages incriminés), de ne pas crier à la malhonnêteté intellectuelle. Sortis en 2011 et 2018 aux Requins Marteaux et chez Glénat, Les melons de la colère et Petit Paul sont certes des ouvrages volontiers grivois et de qualité discutable, qui mettent en scène des personnages s’adonnant aux déviances sexuelles évoquées – et plus encore. Mais qui se caractérisent, à l’évidence, par un humour provocateur, sarcastique et volontiers pince-sans-rire, qui est aussi la marque de fabrique de Vivès. Ils sont par ailleurs parus dans des collections aux titres sans équivoque – BD Cul pour le premier, Porn’Pop pour le second – et ont été vendus sous blister afin d’éviter qu’ils ne tombent entre les mains et sous les yeux de lecteurs trop jeunes.

Héritier des Reiser, Gotlib et autres Vuillemin

Le genre de lectures qui divise, et c’est bien légitime. Mais qui, dans la droite ligne de ce qu’ont pu produire, en leur temps, le Professeur Choron, Gotlib, Reiser, Vuillemin et encore bien d’autres, n’a d’autre objectif qu’une joyeuse transgression entre bédéphiles consentants. À sa sortie en 2018, Petit Paul, qui met en scène un jeune garçon de 10 ans (déjà présent dans Les melons de la colère) doté d’un sexe de 80 centimètres dont il use et abuse, avait d’ailleurs déjà défrayé la chronique, poussant certaines librairies françaises à le retirer de la vente.

Les éditions Glénat avaient alors soutenu Bastien Vivès par le biais d’un communiqué expliquent que les deux critères juridiques nécessaires afin de qualifier cette œuvre de "pédopornographiques", à savoir le réalisme et l’incitation, n’étaient pas réunis. "Aussi obscène et provocatrice qu’on puisse la considérer, cette œuvre de fiction est une caricature, dont le dessin, volontairement grotesque et outrancier dans ses proportions, ne laisse planer aucun doute quant à la nature totalement irréaliste du personnage et de son environnement", disait alors le communiqué.

Le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême a fait quoi qu’il en soit fait savoir qu’une déprogrammation de l’exposition était "évidemment exclue": "Ce serait une défaite philosophique énorme ", a estimé son directeur Fausto Fasulo, interrogé par Libération. "J’ai l’impression qu’on revit le procès intenté contre Flaubert pour Madame Bovary, ou celui des Fleurs du mal de Baudelaire !", a réagi de son côté Benoît Mouchart, directeur éditorial chez Casterman, où Vivès a publié plusieurs romans graphiques, et qui a le sentiment que règne, autour de cette polémique, une grande confusion entre l’auteur et son œuvre: "Mais de quoi parle-t-on exactement ? À quel endroit fait-il une quelconque apologie ? Est-il désormais impossible de représenter les tabous ? […] Il y a quand même une confusion navrante entre ce que pense un personnage, un narrateur et un auteur…"

 «Petit Paul» (2018)
«Petit Paul» (2018) ©Glénat

Céline Tran, qui était directrice de la collection Porn’Pop chez Glénat jusqu’à son arrêt l’été dernier, et a donc validé la parution de Petit Paul, ne souhaite pas, elle, "donner de nouvelles munitions" aux détracteurs de l’album et, plus largement, de cette partie de l’œuvre de Bastien Vivès: "On a déjà réagi à l’époque de sa sortie: on ne va pas sans cesse revenir sur cette polémique qui n’a aucune raison d’être ", a-t-elle réagi laconiquement ce lundi matin.

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