Drogue dans les écoles : « La répression n’est pas la solution »
La police est intervenue 229 fois pour détention de drogue dans les écoles l’an dernier. Si le Covid et le distanciel ont fait baisser les chiffres ces dernières années, la drogue reste une réalité dans les écoles, avec des réponses différentes d’un établissement à l’autre.
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Publié le 06-12-2022 à 19h00 - Mis à jour le 07-12-2022 à 07h00
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Selon des chiffres de la ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V), 229 faits de détention de drogues (cannabis, amphétamines, etc.) ont été enregistrés par la police dans les écoles en 2021 (292 en 2020). C’est deux fois moins qu’en 2019 (532), avant le Covid. Cela peut s’expliquer par l’absence des élèves dans les écoles suite aux confinements. Les zones de police étant aussi plus occupées par le respect des règles sanitaires, nous dit-on.
La grande majorité des faits enregistrés concernent les écoles secondaires (70%), la détention de cannabis et touchent essentiellement des jeunes garçons de 15-17 ans.
Mais pour beaucoup, ces statistiques ne sont que la partie émergée de l’iceberg. "Il ne faut pas être naïfs. Elles ne répercutent que l’activité policière. Ce n’est pas un reflet de la société, réagit le commissaire Lambert de la zone de police de Marche-en-Famenne. Avec 3 000 élèves du secondaire à Marche, ce serait étonnant qu’il n’y ait pas de consommation."
Polémique
Si chaque école a son policier de référence, la zone de police n’intervient plus de "de façon systématique" dans les écoles: "On agit en périphérie. Pourtant des directions sont en demande mais c’est devenu polémique. Certains estiment qu’on fait peur. Ce que l’on veut éviter, ce sont les opérations spectaculaires dans les écoles."
Christel Vandenbergh, responsable de la cellule toxicomanie de la zone de police de Liège, veut rester "prudente" face aux chiffres. "Cela dépend de la proactivité policière notamment." Et les écoles liégeoises hésitent moins qu’avant à faire appel à la police pour des faits de drogue, constate la zone. Christel Vandenbergh fait de la prévention auprès de 2 200 élèves (14-21 ans) chaque année.
"En cas de problème de consommation dans une école et qui plus est, une sollicitation de la police par une direction, je rebondis toujours sur une séance de prévention. Faire une descente répressive réactionnelle, suite à un problème de drogue dans une école, est contre-productif. 90% des jeunes ne connaissent pas la loi, c’est le flou total avec la “tolérance” de moins de 3 gr pour les adultes. Ils mélangent tout." Le commissaire Lambert rappelle à ce propos que la détention de cannabis est illégale en Belgique. "Le juge de la jeunesse peut d’ailleurs prendre une mesure éducationnelle si nécessaire", pointe Christel Vandenbergh.
« Pas leur faire peur »
Quant aux sanctions scolaires auxquelles l’élève s’expose : "Je ne suis pas favorable au renvoi, dit Christel Vandenbergh. Une consommation cache obligatoirement d’autres problèmes, une souffrance émotionnelle. La répression n’est pas la solution."
Si cette dernière offre ses services à toutes les écoles liégeoises, "certaines ne veulent pas car elles disent que ça ne les concerne pas." Et le commissaire Lambert d’embrayer: "La Communauté française est peu collaborante pour la prévention de la police dans les écoles. Elle se trompe je crois. Nous n’avons pas qu’un rôle répressif".
Christel Vandenbergh discute avec les jeunes durant deux heures. "Je leur parle des troubles liés à la consommation. Leur cerveau évolue jusqu’à 25 ans et quand un jeune consomme vers 14-15 ans, il va avoir des troubles cognitifs sans précédent, son QI peut chuter de 8 à 10 points, etc. L’idée n’est pas de leur faire peur mais de les conscientiser. Et quand deux jeunes vous remettent leur hachoir à cannabis à la fin de la séance, c’est fort."
« Pas visible »
Pour la responsable, le Covid a changé la donne: "Il y a eu une restructuration au niveau des ventes, avec un renforcement de l’accessibilité via le net. On ne doit plus côtoyer un milieu criminel pour se fournir. La tentation est plus forte. Et les jeunes sont des cibles."
Dans les écoles, le sujet reste délicat. "C’est un problème qui n’est pas visible, qui passe sûrement sous les radars. J e pense qu’il y a plus de vente à la gare, estime cette directrice. Mais je ne me fais pas d’illusion. J’imagine qu’il doit y avoir des joints dans des cartables ou qu’ils ont été fumés avant les cours."
« Il y a encore du boulot à faire dans les établissements scolaires »

Il n’existe pas de chiffres sur la consommation de drogues dans les écoles. "Mais il y en a, depuis des années, comme partout dans la société, indique Fanny Betermier d’Infor-Drogues. Et ce, quel que soit le type d’enseignement." Si les jeunes consomment à l’école, c’est parfois par "opportunisme, pointe la chargée de communication. On ne peut le faire qu’à l’école, car en dehors, les parents sont sur le dos. Il y a aussi des enjeux sociaux, de besoin d’expression identitaire."
Pour Michaël Hogge d’Eurotox (Observatoire alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles), il n’est pas "étonnant" d’enregistrer des faits liés à la drogue dans les écoles: "d’autant qu’il y a peu d’approche préventive en milieu scolaire. Et souvent par maladresse, les professionnels de l’école supposent des faits et abordent la problématique par l’approche répressive. Or, il est très stigmatisant d’être menotté devant ses camarades par exemple."
Si cela dépend évidemment de la gravité des faits, "faire intervenir directement la police tend à déforcer le lien de confiance entre les élèves et l’école, assure Fanny Betermier. Et l’esprit rebelle de certains pourrait s’en trouver renforcé. La prévention par la peur est inefficace." Fanny Betermier ajoute: "Parfois les écoles le font pour se donner une image de montreuse d’ordre mais il faut faire attention à la base légale ! On aurait entendu qu’un élève a du cannabis sur lui. Ça ne peut pas se faire comme ça !". C’est la direction qui autorise la police à entrer dans l’école. Mais le reniflage et les fouilles ne sont pas légaux sur simple suspicion. Sous peine de porter atteinte aux droits et libertés des élèves.
« Un juste milieu à trouver »
Infor-Drogues intervient souvent auprès des professionnels des écoles pour "leur redonner du pouvoir d’agir, trouver des solutions proportionnées. C’est mieux que celles qui envoient la police à la moindre odeur de fumée." Fanny Betermier estime d’ailleurs que "les exclusions scolaires n’ont jamais aidé. Il y a un juste milieu à trouver. Celui de la communication, du cas par cas, de l’intérêt à porter à l’élève".
Pour Fanny Betermier, les écoles ne ferment pas les yeux sur la drogue. Mais le sujet reste "tabou", assure Michaël Hogge. "Et les écoles n’ont pas assez de moyens ni de temps, renchérit-il. D’où l’intérêt de faire appel à des professionnels externes. Il y a des points d’appui assuétudes, mais pas sûr que les écoles soient au courant. Il faudrait aussi que chaque école ait son référent assuétudes ou un système pour aborder proactivement les choses. Et le faire surtout dans une démarche de prévention de la santé." Il y a encore du travail à faire dans les écoles, dit Fanny Betermier. "La prévention n’est pas toujours une priorité. Des consommations de drogues, il y en a. Le tout est de pouvoir les gérer correctement. Car l’interdiction totale ne marche pas. "