Une ouverture de procès dans les moindres détails
La journée d’ouverture du procès des attentats relevait plus de l’instant médiatique que d’un moment clé de la procédure. Mohamed Abrini s’est plaint des conditions de détention et de transfert ainsi que les fouilles anales quotidiennes.
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Publié le 05-12-2022 à 16h48 - Mis à jour le 05-12-2022 à 16h49
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On n’était plus à un retard près pour réellement débuter le procès des attentats de Bruxelles. Quelques minutes avant 10 h, ce lundi 5 décembre, la présidente, Laurence Massart, a entamé cette procédure historique qui devrait durer 6 mois au minimum. Un premier constat: deux jurés suppléants manquent à l’appel. La 5e suppléante a fait savoir "qu’elle ne comprend pas le français. Elle ne savait pas qu’elle pouvait demander une dispense. Elle suit aussi un traitement pour la fertilité." Idem pour un autre suppléant "qui n’a pas encore envoyé son certificat médical.". Avant les grippes de saison et autres contrariétés, il ne reste donc plus que 22 suppléants sur les 24 initiaux à l’entame de ce procès.
Aux jurés: « vous êtes devenus des juges »
C’est avec énormément de pédagogie que la présidente de cette cour d’assises, lunettes rouges sur le nez en raccord avec la couleur de sa toge, explique au jury ce qu’on attend de lui, qui sont les parties dans ce procès et comment il va se dérouler d’ici le verdict et les peines. "Vous êtes devenus des juges et vous allez discuter de la culpabilité ou de l’innocence de chacun des 10 accusés. " Et elle insiste sur le fait que "ce n’est pas un groupe " qu’il faut juger. Et de rappeler qu’au travers de l’oralité des débats, c’est "toute l’enquête qui va revivre devant vous."
En face des jurés, derrière la vitre du box, un accusé prend la parole. C’est Mohamed Abrini, celui qui a pris la fuite à Zaventem sans se faire exploser. Son témoignage sera capital. De même que celui d’Osama Krayem qui a adopté une attitude similaire dans le métro. Krayem a d’emblée donné le ton: il ne causera pas. Lui qui avait pourtant été assez bavard auprès des enquêteurs a fait comprendre, par la voix de son traducteur, "je ne dirai rien…"
Abrini se plaint des conditions
Quand Abrini se lève et s’empare de la parole, il réagit aux propos de la présidente: "j’ai le sang qui bouillonne". Laurence Massart venait d’expliquer aux jurés que ce tribunal n’était pas un lieu "de vengeance". Abrini endosse alors le costard du syndicat des accusés, parlant parfois en "je" ou en "nous". Mais le message est clair: "si je dois encore subir pareilles humiliations, je ne répondrai à aucune question. " Mohamed Abrini évoque sa détention et, surtout, les conditions liées au transfert entre la prison de Haren et le Justitia, là où se tient ce procès. "On nous met un gilet, de la musique satanique… Il faut arrêter de regarder des films. En France, on a été respecté…"
Le procureur fédéral répond que "ce n’est pas de notre compétence. Ces transferts répondent à des impératifs connus par toutes les polices européennes. " "Non, ce n’est pas vrai", dit l’accusé Ayari, situé à trois places d’Abrini. Lui aussi a connu les conditions du procès à Paris.
« Les plis de son anus »
L’avocat d’Ali El Haddad Asufi, Jonathan De Taye, sort une punchline sur les situations vécues par les accusés. Les détails interpellent, le message est passé: "Il est incarcéré en haute sécurité. Il n’a ni bouilloire, ni rasoir: il n’y a rien dans sa cellule. Aujourd’hui, on le met dans des positions où on inspecte les plis de son anus. Tous les matins, on le met à poil et un policier mène une expertise de l’anus de mon client. Qu’est-ce qui va en sortir ? Un pistolet ?" Depuis que les accusés et condamnés du procès des attentats de Paris avaient été transférés en Belgique l’été dernier, plusieurs avocats de la défense avaient manifesté leur mécontentement face aux mesures sécuritaires. Certains avaient retrouvé un régime de haute sécurité dont ils ne bénéficiaient plus avant le procès à Paris. "Si la détention n’est pas digne, alors le procès n’est pas digne", tape De Taye. "Les policiers français n’ont pas estimé devoir utiliser ces moyens-là, rappelle Delphine Paci, l’avocate de Salah Abdeslam. Les privations sensorielles, c’est extrêmement compliqué."
La présidente a bien rappelé qu’elle n’avait aucune autorité pour faire évoluer ces mesures. Les avocats de la défense comptent activer tous les leviers possibles pour que les conditions ultra-sécuritaires soient allégées afin de respecter la dignité de leur client. Dignité des accusés, le message peut logiquement ne pas trouver écho auprès des parties civiles qui découvraient pour la première fois ceux qui pourraient avoir bousillé leur vie depuis ce 22 mars 2016. Mais les conditions des accusés sont aussi un enjeu majeur de ce procès. Pour que la vérité et l’apaisement s’expriment, il faut un cadre.