Procès des attentats: pour composer le jury, on aura entendu de tout comme excuses
Plusieurs dizaines de candidats jurés ont usé de tous les arguments possibles pour ne pas figurer dans le jury du procès des attentats. Entre rires et pleurs, certains moments étaient épiques.
Publié le 01-12-2022 à 04h00 - Mis à jour le 01-12-2022 à 07h20
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À l’école, il y a toujours un élève qui avance une excuse bidon pour ne pas suivre le cours de gym. Par moments, on a vécu ce type de scène devant la cour d’assises devant juger les attentats de Bruxelles. Ce mercredi, on a assisté à un long défilé de candidats jurés qui ne voulaient en rien faire partie du jury qui devra juger les attentats du 22 mars 2016. Sur 1 000 candidats, 339 avaient déjà été dispensés avant l’audience de composition. Invoquer la nécessité d’être présent au boulot ne passe pas face à la présidente Laurence Massart qui répond généralement: "Je ne vous dispense pas", "il y a beaucoup d’employeurs qui seront dans l’embarras. "
Certains candidats tentent de passer en force: "J’ai mon jugement qui est pratiquement fait, dit cet homme portant le n° 119. Et je n’ai pas besoin de tergiverser des mois sur l’attitude des accusés. " Ce type d’arguments ne passe pas non plus. Sachant qu’elle devra user de pédagogie avec les 36 jurés au cours de ce procès, la présidente prend le temps de faire réfléchir le candidat. "Les choses sont différentes quand on prend en compte à charge et à décharge plutôt que quand on est au comptoir du café."
Ce qui passe généralement bien pour obtenir la dispense, c’est un voyage réservé et payé ; être employé à la STIB (partie civile au procès). L’arme infaillible, c’est un certificat médical. Bien souvent, les candidats doivent se mettre "à nu", évoquer leurs problèmes intimes afin de convaincre. Cette dame explique qu’elle va devoir subir un traitement en raison de son infertilité. "J’ai un kyste aux reins, " dit une autre.
Ou cette dame qui se présente effondrée. "Un très bon ami à moi a été victime des attentats. J’ai perdu mon papa la semaine passée, je suis en plein deuil. Surtout qu’il est parti d’une façon assez violente et il a choisi de se donner la mort. Je ne suis pas sûre…" La présidente ne tergiverse pas: "Je vous dispense Madame, bon courage."
Mais globalement, l’humeur était plutôt légère au cours de ce long défilé où des arguments risibles ont été avancés. "Je suis asthmatique, j’ai gluten, j’ai lactose, j’ai fructose." "Monsieur…" soupire la présidente qui se résigne finalement à le dispenser après qu’il ait déclaré: "Je connais M. Stan" qui est Stanislas Eskenazi, avocat de Mohamed Abrini.
Kevin Borlée dispensé
Portant le n°159 et pas le dossard 159, c’est l’athlète Kevin Borlée qui s’avance. "Je vous ai déjà dispensé, dit la présidente. C’est un nom que je n’ai pas oublié. Et ce n’est pas pour des raisons médicales, vous vous en doutez." Le champion n’a même pas dû s’exprimer.
L’usage de la langue est généralement un motif de dispense. Dans un français hésitant. "Je comprends le français pour me débrouiller", dit cette dame d’origine roumaine. Un autre dit ne pas savoir lire et écrire. "Moi pas parler français", avec un sourire jusqu’aux oreilles et cet homme est dispensé.
Certains mots pèsent plus que d’autres: ce médecin travaillait à l’hôpital Érasme le jour des attentats. Elle invoque d’avoir été confrontée en première ligne à l’horreur des attentats "et des actes barbares ". La présidente hésite mais l’avocat de Smaïl Farisi, Sébastien Courtoy se lève: "Madame a parlé d’actes barbares", rappelle-t-il. Elle est dispensée…
Ce Monsieur frêle avance péniblement à la barre. Un peu plus tôt, il a été pris en charge par la Croix-Rouge suite à un malaise. Une dame, n° 404 sur son gilet rose, avance toute crispée et agitée: "Je souffre de phobie. Je pensais que ça allait aller mais là, je viens de faire une crise. " La candidate 984 est dispensée sans hésitation après avoir déclaré connaître l’accusé Atar "depuis qu’il était jeune. J’étais locataire chez ses parents."
« On va vous couper un bras ? »
Auprès d’une série de candidats jurés, l’égrènement des arguments tantôt forts et tantôt faiblards a influencé leur positionnement initial. Peut-être aussi que la légèreté de cette audience a quelque peu désacralisé ce procès. "Je m’excuse pour le temps perdu mais je voulais retirer ma demande de dispense." Ou une autre: "Je pense que je suis chanceuse d’être là. Je vais me faire opérer dans deux jours et j’aurai un bras de moins." La présidente est stupéfaite: "On va vous couper un bras ?" "Non, j’aurai une attèle."
Dans le box, certains accusés se délectent de ces moments de comédie burlesque auxquels ils ont rarement été confrontés depuis leur arrestation.
7 femmes et 5 hommes pour le jury effectif
À la fin de cette très longue journée, 293 noms ont été placés dans l’urne. Tant le parquet que la défense pouvaient récuser 18 personnes sans aucune justification. Les "d’accord" et "récusé" se sont enchaînés jusqu’à plus de 22 h 30 pour former un jury de 12 effectifs (7 femmes et 5 hommes) et 24 suppléants.