Procès des attentats de Bruxelles: «Le 22 mars n’était pas prévu», «la cible, c’était la France»
Abrini pris de panique lorsque les bombes explosent à Zaventem, Krayem qui se débarrasse de sa charge explosive. À une semaine du début du procès des attentats de Bruxelles, retour sur ce 22 mars 2016 et la traque du réseau djihadiste.
Emmanuel HuetPublié le 28-11-2022 à 04h00 - Mis à jour le 28-11-2022 à 08h37
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Le 22 mars 2016, un chauffeur de taxi débarque à la police de Bruxelles à 8 h 20: il pense avoir transporté les terroristes qui viennent de se faire exploser, à 7 h 58, à l’aéroport de Zaventem.
Sur des images vidéo que lui présente la police, il va reconnaître les trois suspects qu’il est allé chercher ce matin-là au 4 rue Max Roos à Schaerbeek…
En actionnant les bombes dissimulées dans leurs sacs, Najim Laachraoui et Ibrakim El Bakraoui ont tué 16 personnes à Zaventem.
Les enquêteurs sont sur le qui-vive: les terroristes étaient au nombre de trois et avaient embarqué trois sacs dans le coffre du taxi. Il reste donc probablement une bombe et un auteur en fuite. C’est "l’homme au chapeau" visible sur les images de surveillance en train de pousser un chariot à bagages chargé d’un sac..
Abrini « pris de panique »
Aux enquêteurs, Mohamed Abrini expliquera, par la suite, son état d’esprit ce matin du 22 mars 2016. "J’ai dit à Najim (Laachraoui) que je ne pensais pas que je pourrais les suivre…" Après la première explosion, Abrini se planque et bouche ses oreilles, redoutant la seconde explosion. "J’étais pris de panique car j’avais peur que des clous viennent dans mon sac le faire exploser." Pascal Férir et son épouse sont dans la file du check-in pour embarquer vers New York, il se souvient: "On n’a rien entendu. Il n’y a pas de bruit. C’est vraiment un souffle, c’est extrêmement chaud. C’est brutal et très violent. Là, il y a un trou noir…" (Source L’Avenir, 15 mars 2021)
Les deux bombes ont sauté à quelques secondes d’intervalle. Abrini prend la fuite à pied et trouve refuge chez Hervé Bayingana, autre accusé de ce procès.
Krayem fait disparaître une bombe dans les WC
Alors que le chaos règne à Zaventem, deux autres individus se dirigent vers la station de métro Pétillon à Etterbeek. Osama Krayem et Khalid El Bakraoui portent tous les deux un sac à dos. À proximité du métro, Krayem branche la pile destinée à la charge d’El Bakraoui mais il ne connecte pas la sienne. "Je lui ai dit que c’était déjà fait, raconte Krayem aux enquêteurs. C’était un mensonge." El Bakraoui rentre finalement seul dans la station alors que Krayem retourne dans la planque de l’avenue des Casernes. C’est dans la cuvette des WC de l’appartement qu’il fait disparaître les explosifs. "J’ai commencé à me débarrasser de la poudre dans la douche mais ça prenait trop de temps," explique-t-il aux enquêteurs.
9 h 10: explosion dans le métro
Peu avant 9 h 10, la rame de métro s’engouffre dans la station Maelbeek, sous la rue de la Loi. Khalid El Bakaroui sort sur le quai et pénètre dans la seconde voiture. Lorsque le métro se remet en mouvement, il actionne sa charge explosive. 16 personnes décéderont suite à cette explosion.
La capitale belge tremble de toutes parts, les réseaux de téléphonie sont saturés, la crainte d’une nouvelle attaque est permanente.
Dans la foulée de l’attaque à Maelbeek, l’ensemble du pays passe au niveau 4 de la menace. 9 h 28, toutes les stations de métro sont évacuées et fermées. "On se dit qu’il y a encore une cellule qui est capable de faire quelque chose," se souvient le procureur fédéral Frédéric Van Leeuw (Source L’Avenir, 19 mars 2021).
L’étau se resserrait depuis les attentats de Paris
Depuis plusieurs jours, la cellule terroriste était sous tension: l’étau s’était resserré autour du réseau. Depuis les attentats de Paris du 13 novembre 2015, les enquêteurs belges étaient mobilisés sans relâche. Il était évident que la Belgique, particulièrement certains quartiers de Bruxelles, servait de base arrière à une cellule djihadiste disposant de larges moyens et dont les ramifications remontaient jusqu’à la tête de l’État islamique.
L’enquête prend une tournure majeure lors d’une perquisition rue du Dries à Forest, le 15 mars 2016. Là, les policiers font directement face à un feu nourri. Derrière la porte de l’appartement, Mohamed Belkaïd résiste plusieurs heures à l’assaut. La diversion permet à Salah Abdeslam et Sofien Ayari de filer en sautant sur le toit d’une cuisine située au rez-de-chaussée. Ils traversent ensuite un appartement et ordonnent aux occupants d’ouvrir la porte: "On vous fait pas de mal, la porte si-vous-plaît, la porte." La police vient de voir le dernier membre en vie des attentats de Paris s’évaporer une fois de plus.
Abdeslam arrêté
Salah Abdeslam et son comparse seront finalement coffrés quelques jours plus tard: à Jette le 18 mars. Au cours de leur fuite, ils avaient pris contact avec Abid Aberkane qui faisait l’objet d’une observation policière. Ce dernier avait planqué les deux fugitifs dans la cave de l’habitation de sa mère. Aberkane confie plus tard aux enquêteurs que, depuis la perquisition de la rue du Dries trois jours plus tôt, Abdeslam "était vraiment dans la merde. Je comptais encore l’aider quelques jours sans plus…"
Belkaid abattu par la police à Forest, Abdeslam et Ayari arrêtés: la cellule s’amenuise. Ses jours sont comptés ; il faut donc passer à l’action au plus vite.
« Boum, plus d’Euro… »
Des écoutes opérées par la Sûreté de l’État à l’insu d’Abrini dans sa cellule à Bruges permettent de mieux cerner la précipitation du groupe terroriste. Au cours de ces enregistrements, Abrini discute à distance avec Mehdi Nemmouche, condamné pour l’attaque du Musée juif.
C’est là qu’on comprend que les véritables intentions de la cellule terroriste n’étaient pas de frapper en Belgique. Abrini confie que Laachraoui "voulait vraiment charger un camion, monter dedans et il fonce dans la foule, tu vois. Dès qu’il y a un match, genre le match d’ouverture: Boum ; plus d’Euro… " Depuis le mois de janvier, la cellule fabriquait des dizaines de kilos de TATP avec comme objectif de générer un désastre gigantesque en France.
Selon une audition d’Abrini par les enquêteurs, la perquisition de la rue du Dries du 15 mars avait "profondément bouleversé" Ibrahim El Bakraoui dont le portrait ainsi que celui de son frère avaient été diffusés dans la presse. "Le 22 mars n’était pas prévu, a encore expliqué Abrini au juge d’instruction. Parce que les autres disaient que la Belgique était insignifiante et que c’était la base où ils se cachaient […] La cible, c’était l’Euro 2016." Le projet, "c’était la France. Quand j’étais dans les appartements, Laachraoui m’avait dit qu’Abaaoud leur a interdit de toucher à la Belgique."
Dans les heures qui précèdent les attentats de Bruxelles, les assaillants sont répartis dans deux appartements différents. Abrini confirme que, la veille, il savait que son groupe - composé de Laachraoui et d’Ibrahim El Bakraoui – allait "taper" Zaventem. "Pour les autres, je ne sais pas. Maelbeek et le métro n’ont jamais été évoqués." Et il confirme que l’arrestation de Salah Abdeslam a été déterminante dans l’activation des attaques à Bruxelles. "C’est le lendemain de l’arrestation de Salah que les frères El Bakraoui ont décidé d’aller à l’aéroport et dans le métro."
Un précieux PC dans une poubelle
Les enquêteurs progressent et les perquisitions permettent de mettre la main sur des pièces importantes. À proximité de l’appartement de la rue Max Roos - d’où sont partis les attaquants de Zaventem, un PC portable est découvert. Deux éboueurs l’avaient embarqué un peu plus tôt alors qu’il était dans une poubelle. C’est après y avoir découvert de la documentation djihadiste qu’ils ont rapporté l’ordinateur aux enquêteurs. Ce PC révélera une montagne d’informations sur la composition de la cellule, le schéma des attaques de Paris, la recherche de cibles, la fabrication d’explosifs…
Oussama Atar, le grand absent
Les différentes planques sont mises à jour ; les arrestations multiples. Les justices belge et française collaborent sur ces dossiers aux racines communes. Dix personnes seront jugées à partir du 5 décembre 2022 au cours d’un procès historique. Cinq d’entre eux ont déjà été condamnés pour les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Dans les deux dossiers, un homme fait figure de grand absent: Oussama Atar. Depuis la Syrie, cet émir de Daech a orchestré toutes les attaques. Dans un fichier, on retrouvera un échange entre Laachroui et Atar. Le terroriste de Zaventem lui explique les plans élaborés par la cellule et il lui dit: "Après, tu vois, c’est toi. Ça reste toi, l’émir, tu vois ? C’est toi qui décides… "