Procès des attentats de Bruxelles: ce 22 mars 2016 où «le ciel me tombe sur la tête»
Un voyage à New York, une journée comme pompier, un sommet européen… C’est ce qui était prévu pour nos six témoins, ce 22 mars 2016… Charles Michel (premier ministre), Frédéric Van Leeuw (procureur fédéral), Anna et Pascal Férir (victimes), Benoît Verdeyen (pompier secouriste), Patricia Vanderlinden (identification des victimes) racontent cette journée d’attentats à Bruxelles.
Publié le 24-11-2022 à 14h07 - Mis à jour le 03-12-2022 à 09h34
Ce 22 mars 2016, le procureur fédéral, Frédéric Van Leeuw, est en route pour son bureau. Son téléphone sonne, c’est un journaliste - manifestement bien informé – qui l’appelle concernant une explosion à l’aéroport de Zaventem. "C’est le ciel qui nous tombe sur la tête…" se remémore le procureur fédéral.

Le hall des départs de l’aéroport bruxellois est dévasté. Deux bombes ont explosé successivement à 7 h 58. Dans la file du check-in accueillant les voyageurs à destination de New York, Pascal Férir et son épouse patientent pour faire enregistrer leurs bagages. "On n’a rien entendu. Il n’y a pas de bruit. C’est vraiment un souffle, c’est extrêmement chaud. C’est brutal et très violent. Là, il y a un trou noir…"
Le couple de Léglise se perd de vue. "À mes pieds, je retrouve le sac de mon épouse, il est couvert de sang. Il n’y avait plus de bandoulière, c’est extrêmement choquant. J’ai hurlé après elle, je ne sais pas combien de temps. Et puis, à un moment, elle est sortie des gravats. " Tous les deux sont blessés mais en mesure de s’extraire de l’aéroport par leurs propres moyens.

Dès les premiers instants, les premières analyses font état d’un attentat. "Le climat était fort tendu. C’est une séquence qui a commencé par les attentats du 13 novembre 2015 à Paris, rappelle le procureur fédéral. Salah Abdeslam disparaît dans la nature. Toute une série de perquisitions sont menées dans tous les sens pour essayer de trouver les auteurs des attentats."
Salah Abdeslam, justement, avait été arrêté quelques jours plus tôt à Bruxelles. "À ce moment-là, il y avait un sommet européen et je me retrouve dans le bureau de Charles Michel avec François Hollande (président français). Et là, je dis: ‘On n’a pas tout le monde’ et on reste sous pression."
Le coup de fil de Jambon à Charles Michel

Charles Michel, premier ministre lors du 22 mars 2016, se souvient de l’appel de son ministre de l’Intérieur, Jan Jambon. "Je n’oublierai jamais ce qu’il me dit à ce moment-là et l’émotion dans sa voix." Il s’apprête à quitter son domicile à Wavre et il décroche: "Il y a eu une explosion à Zaventem. On n’a pas encore de certitude mais on a une grosse inquiétude que ce soit lié à des questions de terrorisme. " Alors qu’il se dirige vers le centre de crise, "je prends alors connaissance qu’une deuxième explosion est survenue. "
À la caserne principale des pompiers de Bruxelles, non loin de la gare du Nord, l’alerte retentit suite à l’explosion dans le métro Maelbeek à 9 h 11. "Explosion dans une station de métro, on savait à peu près vers quoi on se dirigeait." Ce 22 mars, le caporal Benoît Verdeyen, 26 ans, est envoyé en urgences vers la station de métro. Une première équipe avait déjà apporté son renfort suite à l’attaque à l’aéroport de Zaventem situé en région flamande. "On préparait la suite des événements. On faisait des sacs supplémentaires pour les ambulances. On remontait les véhicules de réserve…"
« Les portes sont soufflées… »

Maelbeek, c’est la zone de couverture du SIAMU: il ne faut qu’une poignée de secondes pour y arriver. C’est le désastre… "Les portes en verre sont soufflées. Ça donne une première idée de la violence de l’explosion qu’il y a eue en bas…" Un halo de fumée plane encore sur le quai de la station. La majorité des navetteurs a fui. Il ne reste plus que des blessés, des morts et une scène de guerre effroyable. "Je me souviens d’avoir dit à mon adjudant: ‘putain…’ car je m’aperçois dans quoi on est en train de mettre les pieds…"
Le pompier se souvient d’un silence… assourdissant. Pas de cris, pas de pleurs… "Certaines victimes nous regardaient les yeux ouverts, le regard complètement hagard. Il y a des blessés partout et on ne sait pas à qui donner la priorité."

La maman d’Anna est justement dans ce métro. Elle était assise à deux pas du terroriste. "Dans ma tête, ma maman n’est pas dans ce métro. Ce n’est pas son chemin habituel. " En 1998, Grana avait quitté la petite ville polonaise de Wegrow pour venir travailler à Bruxelles. Le 23 mars, elle devait retourner en vacances auprès de sa famille en Pologne. Là-bas, on s’interroge à propos de ces attentats dans la capitale belge. Anna, sa fille, est installée à Bruxelles et commence à recevoir des appels d’inquiétude. "Le téléphone de ma maman ne fonctionne plus…" Anna et son mari entament les recherches. "On est finalement arrivé à l’hôpital de Neder-over-Hembeek. Et, là, on a trouvé l’agent du DVI (service de police en charge de l’identification des victimes) qui nous a demandé de donner des descriptions de ma maman." Anna ne sera informée que plusieurs jours plus tard du décès confirmé de sa maman. "On m’a déconseillé d’aller voir le corps."
Des doudous, des poussettes…

Les agents du DVI sont habitués aux scènes choquantes, aux corps abîmés suite à un accident, une catastrophe… Patricia Vanderlinden, est inspectrice principale dans ce service. C’est à Zaventem qu’elle doit opérer. "Ce qui m’a fait peur en arrivant, c’est la présence de poussettes, de doudous abandonnés. Toutes les radios fonctionnaient encore dans les boutiques."
Au DVI, il est interdit de se tromper et inimaginable d’attribuer la mauvaise identité à un corps. "Pour certaines victimes, on a dû faire des analyses ADN et ça prend un peu de temps. Ça été assez rapide. Malheureusement, pas assez pour les familles… " Vu l’ampleur des identifications, l’équipe DVI bénéficiera de renforts en interne et de membres d’Interpol.
À l’aéroport, les blessures du couple Férir ne sont pas jugées prioritaires au poste avancé de secours. "Si vous avez vos deux jambes, vous attendez dehors. Si vous avez perdu un membre, vous êtes à l’intérieur." Avec le recul, Pascal Férir s’en sort bien… "On sait qu’on a eu énormément de chance. Certains boulons sont passés très près de nous. Dans un sac à dos, un iPad a stoppé un boulon." Autour d’eux, dans la file de voyageurs, certains n’ont pas eu cette "chance". Une famille américaine avec qui les regards s’étaient croisés a été lourdement touchée. "La maman est décédée. Une des filles était grièvement blessée."
Le monde s’émeut de la catastrophe qui touche la Belgique. Charles Michel reçoit de nombreuses marques de soutien. "Barack Obama m’appelle ; Angela Merkel ; le président français François Hollande…" Devant la presse internationale, le Premier pèse ses mots: "Je n’alimente pas le message ‘nous sommes en guerre’. La Belgique n’est en guerre contre personne."
À peine le temps de changer de chemise
Autour du procureur fédéral, la tension est énorme. "On se dit qu’il y a encore une cellule qui est capable de faire quelque chose." Les enquêteurs sont sur le pont 24 h/24: "J’ai à peine eu le temps de rentrer dans la nuit à la maison pour changer de chemise." Ce n’est finalement que le jeudi soir qu’il pourra se poser et prendre un peu de recul. "C’est un des premiers moments où je reviens à une heure correcte à la maison et pour y passer la nuit." Il se souvient du témoignage au JT du papa d’une jeune femme décédée dans le métro. "Il parle du décès de sa fille qu’on lui a annoncé ce jour-là. Il fait un discours tellement magnifique que c’est à ce moment-là que l’émotion est remontée. Et j’ai commencé à pleurer devant la télé…"
Bruxelles et la Belgique resteront marqués pour l’éternité par ces attentats. "Il n’y a absolument rien qui puisse réparer ce qui s’est passé ", analyse Charles Michel en évoquant les victimes. Après dix jours d’hospitalisation, les époux Férir ont réintégré la maison familiale à Léglise auprès de leurs trois enfants. "Je ne me considère pas comme victime à vie des attentats. Ça fait partie de notre histoire. C’est un événement sur lequel on a appris à se reconstruire, à vivre pleinement notre vie et avoir des projets."