Une nuit auprès d’Anne Frank
Lola Lafon a passé la nuit dans l’appartement où Anne Frank est restée cachée de juillet 42 à août 44 avec sa famille avant d’être déportée.
- Publié le 03-11-2022 à 06h00
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Entre le 18 et le 19 août 2021, Lola Lafon est restée seule dans l’annexe du Musée Anne Frank à Amsterdam, comme elle le relate dans Quand tu écouteras cette chanson, nouveau titre de la collection Ma nuit au musée. "Avant d’y aller, je ne savais pas grand-chose sur Anne Frank, même si, à 14 ans, ma grand-mère m’a offert une médaille avec son portrait, reconnaît-elle. Mais je voulais me confronter à cet abîme-là. Je cherchais une façon de parler d’elle, de ma famille et même de l’adolescent cambodgien que j’ai connu et qui allait mourir dans un autre génocide. Sans passer par la fiction."
Ce n’est pourtant qu’à l’aube que Lola Lafon ose pénétrer dans sa chambre. "Je me suis demandé pourquoi des milliers de gens viennent du monde entier pour s’y presser. Et c’est vrai qu’elle paraît terriblement habitée: vous vous retrouvez comme en effraction da ns une chambre d’adolescente."
Dans son récit, elle raconte les 25 mois passés par Anne Frank avec sa famille et quatre autres Juifs dans les locaux vides de l’entreprise où travaille son père, ce dont seuls quatre employés sont au courant. Elle évoque aussi sa propre famille, des Juifs d’Europe centrale disparus en grande partie dans les camps, en se définissant comme une "fraudeuse sur le point d’être démasquée". "J’ai longtemps fui tout ce qui avait trait à la Shoah, tant cela me semblait insurmontable, explique-t-elle. J’ai l’impression d’avoir été baignée dans ce récit auquel j’ai tourné le dos car il me paraissait trop lourd."
En mars 1944, lorsque la jeune fille de 14 ans entend à la radio un ministre dire qu’il est important de conserver tout document comme témoignage, celle qui veut devenir écrivain décide de récrire son journal dans l’idée d’être publiée après-guerre.
"À partir de ce moment-là, commente Lola Lafon, elle pense à son lecteur, quelque chose change dans son écriture. Elle réorganise son récit, décrit l’annexe. Avec talent et précision, elle parvient à partager son quotidien."
Si Anne Frank est connue pour son journal, longtemps raccourci de certains passages ou détourné au cinéma et au théâtre, la romancière regrette qu’elle soit réduite à ce rôle de diariste. "Le problème est qu’elle soit devenue une icône plutôt que d’être reconnue comme une écrivaine, ce qu’elle est réellement. Et elle n’est pas le symbole de la Shoah puisqu’elle en a été la victime, contrairement à Primo Levi, par exemple."
Lola Lafon, « Quand tu écouteras cette chanson », Stock.