« L’incroyable histoire de l’Église » - Amour, gloire et félonies
Sur un dessin de Pascal Magnat, Olivier Bobineau, « l’enfant terrible du catholicisme », propose une… bible venue raconter, de façon iconoclaste et provocatrice, l’histoire de l’Église.
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- Publié le 02-11-2022 à 11h13
- Mis à jour le 02-11-2022 à 11h16
Ce devait être un travail académique, destiné à permettre à Olivier Bobineau de devenir professeur des universités. Mais ce passionné de culture populaire a finalement transformé son étude, qui portait déjà sur la longue histoire de l’Église, en une bande dessinée, dont un troisième tome vient de paraître, ou plutôt de compléter les deux premiers pour se fondre dans un imposant volume de près de 600 pages (!).
Un ouvrage aussi fou que son sujet, avec lequel celui qui est aussi sociologue et politologue – après avoir été séminariste – ne s’est imposé aucun tabou pour parler de Jésus, de la papauté, de ses scandales et délires, de l’influence politique du Vatican, ou encore du pape François. De façon chronologique, souvent provocatrice, mais pas sans sentiments. "Un amour vache, disons", confesse-t-il. Alors, parce qu’une telle "bible" est difficile à résumer, on l’a fait réagir sur quelques-uns des dossiers chauds qui en agitent les pages.
1Jésus,mais lequel ?

D’entrée, le ton est donné: sous le crayon de Pascal Magnat, le dessinateur (athée) de l’ouvrage, Jésus apparaît petit, velu et ventripotent. Pas vraiment raccord avec l’image traditionnellement véhiculée. "Des archéologues, rapporte Olivier Bobineau, ont prouvé que le vrai Jésus était sémite, ne dépassait pas le mètre soixante, avait les cheveux crépus et était plutôt rond. Le Jésus auquel nous sommes habitués est, au contraire, un Jésus… aryen, hérité de la Renaissance. Dans la première version du bouquin, je faisais même une référence à Mein Kampf, parce que, si on réfléchit, il est tout de même dingue qu’un juif ait été représenté sous une forme aryenne du point de vue occidental. Mais mon éditeur a préféré retirer l’allusion: il trouvait que j’étais déjà assez provocateur, qu’il fallait penser aux quelques lecteurs cathos qui pourraient être choqués, et ne pas les dissuader dès les premières pages (il rit)."
2Deuxtrahisons
Dans un passage célèbre du Nouveau Testament, Jésus chasse les marchands du temple. Une façon de dire qu’il refuse de voir religion et politique mêlés. "Mais dès Constantin (NDLR: 306-337), c’est fini. C’est ce qu’on appelle la fusion théologico-politique. Et ça, ça met le bazar. C’est la première trahison. " Parce que du point de vue d’Olivier Bobineau, il y en a une seconde: "L’Église est fondée sur la civilisation des pères: on dit “Mon Père” quand on s’adresse à un prêtre ; de la même façon, “abbé” est un mot issu du grec et du latin et qui, étymologiquement, signifie “père”. Or, dans l’Évangile selon Matthieu, Jésus dit: “Vous êtes tous frères, vous n’avez qu’un seul père, il est aux cieux, vous n’appellerez personne père sur Terre.” Parce que se faire passer pour un père, c’est avoir un pouvoir sur l’autre. Et Jésus, c’est l’inverse du pouvoir, c’est l’amour."
3Oùsont les femmes ?
Toujours exclue de la prêtrise, la femme, et Olivier Bobineau le démontre avec humour, est pourtant au cœur de l’Église chrétienne dès l’origine. "Il y a Marie, bien sûr, et c’est une femme, aussi, qui annonce la résurrection. Et il y a la Samaritaine. Jésus est finalement un homme à femmes qui aime les femmes. Oui, mais voilà: l’Église va calquer son organisation sur celle de l’Empire romain, qui est fondé sur le modèle du pater familias. Un autre paradoxe, c’est que les sociétés chrétiennes sont aussi celles où les femmes sont les plus reconnues. Car lorsqu’elle voudra attirer les femmes, l’Église n’hésitera pas, non plus, à s’appuyer sur une figure extraordinaire: celle de Marie, qu’elle mettra volontiers en scène un peu comme on placerait un produit en tête de gondole."
4Pauvre François

La troisième partie du livre est logiquement consacrée à l’Église contemporaine, à commencer par le règne de Jean-Paul II, avec qui Olivier Bobineau avait quelques œufs à peler: "J’ai grandi avec lui, on l’a sacralisé, mais j’ai compris sur le tard, il y a trois ou quatre ans, qu’entre 1945 et 2015, toute l’église catholique est orientée par un anti-communisme maladif. Ce qui fait que Pie XII va dire oui à Hitler, car il entend combattre Staline, et préfère le nazisme au communisme. Jean-Paul II, c’est pareil: il va soutenir des dictatures en Amérique latine, ou bénir le mariage de Pinochet. Sur ces questions, l’Église s’est longtemps montrée très fermée, comme elle l’est aujourd’hui par rapport aux femmes. Au milieu de tout cela, le pape François essaie, mais il n’a pas trop le choix, parce que dans tout ça, à la fin, c’est tout de même l’institution qui est la plus forte. C’est pour ça que, plutôt que de se battre pour la place de la femme dans l’Église, il se positionne sur d’autres dossiers moins sensibles, comme l’écologie. Ce qui est marrant avec François, finalement, c’est qu’il souffre de ce que j’appelle le “syndrome Gorbatchev” : il est adoré à l’extérieur, notamment par les… athées, mais très critiqué à l’intérieur de l’institution, et tout particulièrement en Amérique latine, où des choses horribles circulent à son sujet."
5Etl’amour, bordel ?
On pourrait croire, à lire son propos, qu’Olivier Bobineau n’a que des reproches à formuler à l’encontre de l’Église. Qui aime bien châtie bien, sans doute, parce que son ouvrage respire aussi une foi qu’il n’entend pas renier: "L’Église a bien des défauts, et son histoire est pleine d’événements tragiques – l’Inquisition, Torquemada, les guerres de religion –, mais le message, lui, est bien passé: l’amour romantique, celui qui veut qu’on donne tout à l’autre, et qui puise sa source dans l’Évangile, demeure puissant. Dans les enquêtes des sociologues, l’amour dépasse désormais la valeur travail. Le repli de nos contemporains sur leur écologie familiale et affective, auquel on assiste aujourd’hui, se produit au nom de l’amour. De ce point de vue, c’est une réussite. Et si les lecteurs ne devaient retenir qu’une chose de mon livre, ça serait celle-là: que Jésus, lui, est digne d’amour."
« L’incroyable histoire de l’Église », Bobineau/Magnat, Rue de Sèvres, 584 p., 33 € (forcément…).