Sanctions: La Belgique forcée de jongler avec ses diamants
Jusqu’ici, un embargo européen sur les diamants provenant de Russie n’a jamais été formellement mis sur la table. Mais la pression augmente. Directement concernée, la Belgique se démène pour sauver le secteur… et son image.
- Publié le 04-10-2022 à 20h05
- Mis à jour le 04-10-2022 à 20h06
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Aux dires de plusieurs diplomates européens, les diamants russes qui abreuvent la place anversoise ne figureront pas dans la liste de produits bannis par le prochain paquet de sanctions contre la Russie. Proposé dans l’urgence par la Commission européenne suite aux "référendums" russes qui ont conduit à l’annexion de quatre régions ukrainiennes, le "paquet" doit faire l’unanimité parmi les États membres, et pourrait être avalisé dès cette semaine (lire ci-dessous).
L’absence des diamants sur la liste des produits interdits a de quoi rassurer la Belgique, qui, par la voie du Premier ministre Alexander de Croo, a encore récemment fait part de ses réticences, vu le poids de la pierre précieuse dans l’économie belge.
Missives qui tombent mal
Mais le vent du boulet n’est pas passé loin cette fois-ci, après que cinq pays (la Pologne, l’Irlande, et les pays Baltes que sont la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie) aient proposé une série de mesures plus dures à l’encontre de la Russie, dont un embargo européen sur les diamants. L’ONG Transparancy international a elle aussi plaidé en ce sens, tout en reconnaissant que "la mise en place d’un tel embargo peut en effet provoquer un déficit dans l’approvisionnement du centre de négoce de diamants d’Anvers en Belgique, le plus grand du monde", et que "d’autres effets pervers pourraient également survenir comme la défiance des joailliers et bijoutiers vis-à-vis des diamants naturels au profit des diamants synthétiques".
Mais voilà, le produit "diamant" brille et attire l’attention, et le timing de ces missives, deux jours seulement avant que la Commission ne communique sa proposition de sanctions, avait de quoi donner des sueurs froides à Alexander de Croo.
Tant et si bien que, jusqu’au dernier moment, le suspens est resté de mise : aucun ambassadeur européen ne savait ce qui se trouvait précisément dans le paquet au moment où la Présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, en faisait l’annonce publique la semaine passée. Et c’est peu dire qu’une présence des diamants aurait mis Alexander de Croo dans l’embarras, lui qui maintient un fragile équilibre diplomatique sur cette question depuis le début de l’invasion russe, assurant d’un côté que la Belgique ne s’opposerait pas à un tel embargo si telle était la volonté des autres États membres, tout en rassurant la place anversoise où transite la quasi-totalité des pierres exportées en Belgique par Alrosa, géant du secteur détenu en partie par l’État russe. Une entreprise qui est donc liée au régime de Poutine, et depuis quelques mois blacklistée par les États-Unis et le Royaume Uni.
Ne pas s’afficher
Comme l’a noté le Financieele Dagblad, les représentants de l’entreprise n’étaient pas présents à Anvers mi-septembre, lors de la grande conférence intitulée Facets 2022, organisée par l’AWDC (Antwerpen World Diamond Center), le lobby du diamant qui s’assure de la fluidité des importations et exportations de diamants en Belgique et singulièrement à Anvers. Alrosa ne faisait pas non plus partie des sponsors de l’événement, malgré un accord de coopération renouvelé fin 2021.
Évidemment, l’agression russe en Ukraine est passée par là : pas question de s’afficher avec les Russes, même si le business, lui, continue. D’après l’AWDC, c’est l’entreprise elle-même qui a fait savoir qu’elle ne se joindrait pas à la fête. De quoi arranger les affaires des orateurs belges invités à s’exprimer lors de l’événement, parmi lesquels… le Premier ministre belge, le bourgmestre d’Anvers Bart de Wever ou encore la gouverneure de la province Cathy Berx.
Merci la Commission ?
En laissant de côté les diamants, la Commission européenne épargne une situation délicate au Premier ministre. Une "fleur" qui n’est pas que diplomatique. "Pour la Commission, lorsque la sanction a un impact négatif comme c’est le cas sur l’énergie, il faut que l’effort ou le coût puisse être partagé entre les États membres", souffle-t-on au sein de la bulle diplomatique européenne. "Or il est vrai qu’ici, c’est uniquement la Belgique qui est concernée. Et c’est assurément un élément important pour la Commission, qui d’ailleurs n’est visiblement pas certaine de l’impact d’une telle sanction sur l’économie russe." Jusqu’à la prochaine outrance de Vladimir Poutine ?