IVG: un regard doux sur un sujet tabou
Douze femmes se sont confiées sur leur expérience dans ce recueil mis en lumière ce 28 septembre, Journée mondiale du droit à l’avortement.
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Publié le 28-09-2022 à 13h47 - Mis à jour le 28-09-2022 à 13h48
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En Belgique, une femme sur cinq a avorté au moins une fois dans sa vie. Parmi elles, une sur deux prenait un moyen de contraception fiable.
Écrivaine et journaliste, Dominique Costermans s’est penchée sur ce sujet dont on parle peu. Douze femmes ont accepté de se confier à elle. Elle en a fait un recueil qu’elle souhaite libérateur et respectueux de la parole des femmes dans ce domaine. "L’impensé de l’IVG" vient de paraître aux Editions Courtes Lignes.
Quel a été le déclencheur de ce travail sur l’avortement ?
J’avais assisté à une petite passe d’armes sur les réseaux sociaux, à ce sujet, en 2019. Il était alors question d’un allongement du délai légal de l’IVG. Je me suis aperçue que le discours était très clivant, et très jugeant. Il y a les pro-life et les pro-choice (pour la vie ou pour le choix, NDLR), mais il n’y a pas de place pour l’expression du vécu des femmes. Pourtant, chaque expérience est singulière.
Vous voulez dire que tout le monde a une opinion sur l’IVG, mais sans fondement…
Le sujet est peu documenté du point de vue du vécu. Je me suis demandé qui étaient ces femmes qui avortent ? Pourquoi ?
Douze femmes belges ont répondu à votre petite annonce…
J’ai recueilli ces douze témoignages de femmes, et je leur ai garanti la confidentialité la plus totale, et le droit de se retirer du projet à tout moment. C’est notre contrat de base.
Vous leur avez donné des noms de fleurs. Pourquoi ?
Elles sont devenues ce prénom à mes yeux. Chaque fleur évoque un de leur trait de caractère. La frêle Capucine, la plus jeune, m’a répondu alors qu’elle était enceinte de 8 mois et demi ; Anémone était une femme très en colère et très majestueuse dans la fin de sa cinquantaine avec ses quatre enfants et un métier de battante, je trouvais que ce prénom avait de la classe ; Jasmine est un prénom à consonance plus orientale, comme le sont ses origines ; Garance me faisait penser à Arletty…
Leurs profils sont très différents: elles ont entre 28 et 74 ans, certaines ont pratiqué une IVG clandestinement, d’autres l’assument pleinement
Ce qu’elles ont en commun, c’est qu’aucune n’a regretté d’avoir eu, un jour, le choix.
Contrairement à ce que certaines personnes pensent, les études montrent que ce n’est pas un sentiment de regret qui prédomine chez les femmes qui ont eu recours à l’IVG, mais plutôt un soulagement. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a jamais de regret… Chaque histoire est différente.
Je pense qu’éclairer sur le contexte, les raisons, le parcours de chacune, est intéressant. Par exemple, l’une de mes témoins aurait bien laissé courir la grossesse mais son copain avait subi une vasectomie, et elle n’a pas voulu lui faire un enfant dans le dos. Une autre a beaucoup pleuré, parce que son choix relevait de sa condition socio-économique, alors épouvantable.
Est-ce que le fait de raconter leur expérience a changé quelque chose pour elles ?
Pour certaines, le récit a eu un fort impact, et leur a donné envie de témoigner ailleurs, à la télé par exemple, ou de nouer des liens avec d’autres femmes qui ont eu recours à l’IVG. Pour d’autres, c’est resté bien enfoui et, une fois leur témoignage donné, elles sont retournées à leur vie d’avant.
Défendez-vous l’idée que ce sujet est exclusivement l’affaire des femmes ?
Chaque histoire est singulière mais, in fine, c’est incontournable, c’est à la femme de décider. L’homme est à la périphérie de la décision. Je suis une femme et je n’ai jamais avorté, mais je sais que personne n’aurait pu me forcer à garder un enfant.
Ce recueil a-t-il aussi un objectif politique ?
Je pense que briser le silence permet à la politique d’avancer, car lorsqu’on a des récits, on ne peut plus se permettre d’être simplement univoques. L’absence de récits crée le silence et le silence crée la honte. Personnellement, je suis en faveur de l’extension du délai mais je ne le dis pas dans le livre, je passe le relais aux associations dont cette lutte est l’objet.
Ce que j’aimerais, c’est que le livre contribue à faire sauter le verrou du silence. Toutes les maisons de la laïcité m’invitent à présenter mon ouvrage et j’y vais avec plaisir mais je sais que dans ces milieux, je vais conforter les gens dans leurs convictions. Je rêverais plutôt d’être invitée par une bibliothèque paroissiale…
Les droits d’autrice de ce livre seront reversés à Abortion Without Borders, afin d’aider les Ukrainiennes victimes de viol à avorter en Pologne, Belgique ou Pays-Bas.