Caroline Delabie (coloriste): «Je ne pourrai pas vivre sans couleur»
Depuis 2007, Caroline Delabie est la coloriste attitrée des bandes dessinées de Ralph Meyer. Un rôle de l’ombre qu’elle assume pleinement.
Publié le 06-08-2022 à 06h00 - Mis à jour le 08-08-2022 à 10h57
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C’est une touche-à-tout, du genre qui ne tient pas en place: Caroline Delabie est architecte d’intérieur de formation. Mais aussi guide nature. Et céramiste à ses heures perdues. Bientôt, elle pourrait même devenir nutritionniste, après une formation en ligne auprès de deux universités américaines. Mais aujourd’hui, elle est encore et toujours coloriste: " Quand je vois certains dessinateurs capables de se dévouer corps et âme, durant toute une carrière, à l’illustration, ça me fascine, mais moi, j’en suis incapable", moque-t-elle gentiment.
J’ai fait un essai, tout fait à l’envers... mais ça a plu à Ralph
Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas très capable par ailleurs. Pour preuve: elle est, depuis 2007, la coloriste attitrée de Ralph Meyer. D’abord surIAN, puis en compagnie du scénariste Xavier Dorison surAsgardpuisUndertaker,sans doute l’une des séries majeures des dix dernières années. " La colorisation, ça m’est venu par curiosité, en voyant Ralph mettre ses dessins en couleurs, se souvient Caroline.Je bossais alors en tant qu’architecte d’intérieur et la couleur a toujours été une chose qui m’attirait, qui me faisait du bien: j’aurais du mal à vivre dans un intérieur blanc, chez moi il y a plein de couleurs partout."
C’est avec un certain culot qu’elle entreprend sa première colorisation surIAN: " Je voyais que Ralph galérait à trouver un ou une coloriste dont le travail le satisfaisait. Je lui ai proposé de faire un essai. J’étais stressée, car Ralph est quelqu’un de très exigeant: j’ai réalisé le truc complètement à l’envers… mais paradoxalement, il était très satisfait(elle rit)"
Longtemps, je me suis demandé si le métier avait été invisibilisé parce que c’était surtout un métier de femmes
La suite, ce sont un paquet de blockbusters. Et un écolage à finir sur le tas, comme souvent dans ce domaine. " Aujourd’hui, il existe des formations, mais à l’époque où j’ai étudié aux Beaux-Arts, ce n’était pas le cas, raconte Caroline.On y apprenait la couleur, mais dans mon chef, c’était pour bosser sur du volume, pas pour mettre en images. La seule solution, pendant longtemps, était donc d’apprendre avec un ‘‘maître’’, même si je n’aime pas beaucoup le mot. Pour moi, ça a donc été Ralph. Quand il avait fini de dessiner, il venait jeter un œil par-dessus mon épaule et rectifiait ce qui n’allait pas. C’était de l’essai-erreur. J’ai appris à faire les choses à l’endroit… même si nous avons toujours, aujourd’hui, des façons de fonctionner différentes."

Le métier, placé dans l’ombre, est bien sûr ingrat. Pendant longtemps, la colorisation a même été la chasse gardée des "femmes de", à l’image de la plus célèbre d’entre elles: Nine Culliford, l’épouse de Peyo. " Pendant longtemps, c’était un métier assez féminin, et invisibilisé, confirme la Liégeoise, qui travaille uniquement sur ordinateur.Et je me suis longtemps demandé s’il avait été invisibilisé parce que, précisément, nous étions des femmes. Mais les choses bougent. Et je rappelle que fut une époque où le scénariste lui-même n’avait pas droit à son nom sur la couverture des bandes dessinées."
Parfois, je me demande si je fais mes choix de mon propre chef ou parce que Ralph m’a naturellement appris à aller dans sa direction
Et si le sien apparaît souvent au frontispice des albums, elle est parfois frustrée de n’être pas toujours citée quand est évoqué le travail du trio qu’elle forme pourtant avec Meyer et Dorison. Heureusement, elle s’y retrouve, aussi, en tant qu’artiste: " Il faut parfois se battre pour conserver une forme de liberté artistique, et je me demande parfois si je fais les choix que je fais de mon propre chef ou parce que Ralph m’a appris à aller naturellement dans sa direction. Ou, a contrario, si j’ai pu influencer sa propre vision. Sans doute un peu des deux, d’autant que je dois vous avouer une chose:Undertaker, par exemple, est réellement le fruit d’un travail commun avec Ralph mais aussi le scénariste, Xavier Dorison: nous nous autorisons à évoquer, et donc critiquer, le travail de l’autre. Si bien que les albums sont, au final, le fruit de notre vision commune."