Procès des attentats de Paris: « Je regrette de ne pas avoir plaidé devant un jury citoyen »
La singularité de la cour d’assises du procès des attentats, c’est son jury. Ce ne sont pas des citoyens qui vont décider de la culpabilité des accusés mais des magistrats professionnels.
Publié le 28-06-2022 à 12h45 - Mis à jour le 28-06-2022 à 12h46
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C’était lundi à 11h.Après avoir entendu le dernier mot des accusés du procès des attentats de Paris, le président Jean-Louis Périès et les assesseurs se sont retirés pour entamer leur délibération. Spécificité française: c’est un jury composé de magistrats professionnels qui décidera du sort des accusés.En Belgique, tous les procès en cour d’assises sont toujours composés d’un jury populaire.Ce sera encore le cas lors du procès des attentats de Bruxelles qui débutera en octobre prochain. Trop tardivement, une révision de la constitution avait été envisagée par le parlement fédéral afin que les procès terroristes ne soient plus jugés par un jury populaire.En juillet 2020, cette révision de l’article 150 de la constitution n’avait pas trouvé de majorité.
Pourtant, des professionnels comme le procureur fédéral et le collège des procureurs généraux avaient soutenu cette réforme et la suppression de la cour d’assises.Dans une carte blanche, le procureur fédéral avait largement soutenu une correctionnalisation de ce type de faits.
Faute d’accord, le jury populaire appelé à siéger au procès des attentats de Bruxelles sera aussi composé d’une armée de suppléants (12 titulaires et 24 suppléants).Une reprise du Covid conjuguée à la longueur de ce procès (6 à 9 mois!) pourrait hypothéquer toute la procédure si la réserve de suppléants venait à être épuisée.Au procès de l’attentat du musée juif, qui avait débuté en janvier 2019, il avait été nécessaire d’aller puiser largement dans la réserve afin d’aller au terme de la procédure qui avait duré 9 semaines.Ce qui n’est rien au regard de la longueur annoncée du procès des attentats de Bruxelles.
Un modèle plus répressif?
En France, la question de juger des actes terroristes par des magistrats professionnels est réglée depuis les années 80.Pourtant, la question n’est pas totalement évacuée: " je regrette de ne pas avoir plaidé devant un jury citoyen , analyse Raphaël Kempf, avocat de la défense au procès parisien. En principe, les crimes doivent être jugés par des citoyens car on est jugé par ses pairs.Ils ont une virginité à l’égard de la justice. " En revenant sur l’histoire, l’avocat estime que ces changements poursuivent un but avant tout sécuritaire. " Dans l’histoire de la France, à chaque fois qu’on a mis des juges professionnels, c’était dans le but de renforcer la répression.On l’a fait pour les anarchistes à la fin du 19e siècle.En 1963, De Gaulle a créé la Cour de sûreté de l’État pour juger les opposants politiques.Le but était d’empêcher des jurés de juger des faits politiques. "
La loi antiterroriste de 1986 a alors été construite sur le modèle de la Cour de sûreté de l’État.La justification: "il fallait une cour d’assises sans jurés citoyens car ils auraient pu être menacés. "
Un jury populaire profite-t-il plus à la cause de la défense?Dans le cas du procès des attentats de Paris, on peut supposer que les déclarations des accusés n’auraient pas laissé insensibles des jurés citoyens.Lundi, le témoignage d’Abdellah Chouaa a ému toute la salle, jusqu’au président dont les yeux étaient rougis par l’émotion.
«Juger en tant qu’être humain»
Mais les larmes ont été vite séchées et la rigueur de la justice a vite repris le dessus. À la clôture de l’audience, président, les deux assesseurs et les deux magistrats suppléants se sont retirés depuis lundi midi pour délibérer. C’est à la majorité simple qu’ils décideront du sort de chacun des accusés en répondant aux questions posées dans l’acte de mise en accusation. " Mon sentiment, c’est qu’on se retrouve devant un tribunal d’exception et on se prive de la garantie des droits de la défense, " estime l’avocat Raphaël Kempf.
Lors de sa plaidoirie, Stanislas Eskenazi, l’avocat de Mohamed Abrini, avait d’ailleurs débuté son intervention en se penchant sur cette course d’assise " composée de magistrats ." Il avait appelé à ce qu’ils " tombent la toge " au moment de juger " en vos qualités d’être humain et pas en tant que magistrat spécialisé sinon vous ne respecteriez pas la qualité d’origine de la cour d’assises. "