Procès des attentats de Paris: la panique et les sanglots des accusés avant le verdict
La détresse de quelques accusés a été entendue ce lundi matin lors d’un dernier mot avant que la cour ne se retire pour délibérer.
Publié le 27-06-2022 à 14h44 - Mis à jour le 27-06-2022 à 14h57
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Tatouée sur les avant-bras, portant un t-shirt noir à l’effigie d’un groupe de rock, le badge d’identification d’une victime autour du cou, la dame s’approche de Hamza Attou, accusé de ce procès des attentats terroristes de Paris. »Je peux vous faire un bisou », demande-t-elle avec un accent anglophone.L’étreinte qui suit est chaleureuse, sincère et empreinte d’énormément de symbolisme. Ce lundi matin, les 14 accusés du procès ont tous eu droit à un moment de parole.Leur dernier mot avant que la cour ne se retire pour délibérer sur le verdict et les peines qu’elle prononcera mercredi en fin d’après-midi.
Il n’aura fallu qu’une heure pour tous les entendre. À l’exception de Krayem, tous se sont exprimés.On s’est montré particulièrement attentif au sort de ceux qui risquent le moins ou qui pourraient perdre tout en retournant en prison.Quelques-uns des 14 accusés de ce procès avaient encore une carte à jouer ce lundi matin.
«J’ai très peur de votre décision»
On a vu des larmes couler, on a entendu des sanglots réprimés et des silences fracassants.Le témoignage d’Abdellah Chouaa, accusé comparaissant libre, était d’une sincérité bouleversante. Lorsqu’il s’approche de la barre, face au président Périès, un long silence pèse sur une salle comble. Chouaa est en souffrance mais il parle avec son cœur." J’ai très peur de votre décision , dit-il à la cour. J’ai très peur que vous ne fassiez une erreur.Je ne suis pas un terroriste, je ne l’ai jamais été.Je ne suis pas de ces gens-là.Certes, je l’ai accompagné à l’aéroport (NDLR: lors du départ d’Abrini vers la Syrie) et j’ai été le rechercher.Mais je ne savais pas ce qu’il avait en tête ." Les paroles peinent à sortir tant le stress et l’émotion déciment celui qui joue son va-tout devant la cour. Il reprend son souffle: "excusez-moi…" Et puis il revient sur son parcours de vie. "Innocent ou pas, je resterai toujours un accusé de ce procès.Mon nom est lié à ce procès et j’en souffre. " Abrini écoute et Chouaa lui adresse: " je t’en veux Mohammed, je t’en veux frère.Tu as détruit ma vie.Je ne sais pas si je te pardonnerai mais j’en souffre ."
«Il m’a demandé si je serai à la remise de son CEB»
Depuis près de 10 mois, les trois accusés libres de ce procès sont présents chaque jour de cette audience.L’entourage direct de Chouaa a connaissance des raisons de ses absences interminables depuis le 8 septembre.Mais pas ses enfants… " Ce week-end, j’ai retrouvé mes enfants et mon fils. Il a eu 12 ans il y a trois semaines et j’ai oublié de lui souhaiter un bon anniversaire…
Il m’a appelé et il m’a dit ‘j’ai réussi mon CEB; je vais en 1 re secondaire.Il m’a demandé si je serai là à la remise de son CEB.J’ai honte: j’ai dit: ‘papa, il travaille…’" Depuis le témoignage poignant des victimes, jamais l’émotion n’avait été si forte depuis de longues semaines. Les bancs composés majoritairement de victimes sont muets.Une d’entre elle, assise devant nous, verse des larmes en écoutant le témoignage poignant de l’accusé.
Abdellah Chouaa remercie d’ailleurs ces nombreuses victimes qui les ont encouragées jour après jour. "Je voulais remercier les parties civiles qui sont venues vers moi et qui m’ont beaucoup soutenu."
Ali Oulkadi est tout aussi paniqué lorsqu’il s’approche du micro.Il respire bruyamment et son souffle claque dans le micro. " Je sais que je vais devoir apprendre à vivre le restant de ma vie avec ça.J’appréhende le moment où je devrai l’expliquer à mes enfants: les attentats, comment j’ai vécu ce procès, comment je leur ai menti - même si ma plus grande a un peu compris… De mes petites notes, je ferai un livre, " dit celui qui n’a rien perdu des détails de ce procès, de son procès.
Si la cour suivait le réquisitoire du parquet (une peine d’emprisonnement de 5 ans), Ali Oulkadi retournerait en prison." J’espère pouvoir retrouver une vie où je l’ai laissée.Je veux retrouver ma famille et l’éducation de mes enfants est ma priorité."
Hamza Attou n’a pas d’enfants…Mais a reçu aussi de l’affection " des victimes qui sont venues vers moi. " Il avait bien préparé un texte mais il s’en est référé à ce que son cœur lui disait de dire à ce moment: " j’espère que vous serez juste s", dit-il en s’adressant à la cour.
Ces trois-là retrouveront-ils leurs familles pour de bon mercredi soir?D’autres l’espèrent aussi.Le parquet a requis 8 ans de prison à l’encontre de Mohammed Amri alors qu’il est incarcéré depuis juillet 2016.La liberté n’est plus forcément très loin pour celui qui est allé rechercher Abdeslam à Paris avec Hamaz Attou." Au premier jour de ce procès, je me suis dit que j’arriverais jamais à prendre la parole devant tout ce monde alors que j’attendais vraiment ce procès. J’ai été entendu, j’ai pu m’exprimer."
«Les victimes m’ont appris le pardon»
Farid Kharkhach a déjà passé 5 ans en prison alors que l’accusation n’a requis que 6 ans pour celui qui a fourni des faux papiers à la cellule terroriste. " Je me suis demandé ce qu’on attendait de moi.Mes avocats m’ont dit de parler avec mon cœur.Parler avec mon cœur, c’est remercier tout le monde dans cette salle, sans exception. Aux parties civiles, j’aimerais dire que leurs témoignages m’ont beaucoup touché.Je les porterai dans mon cœur le reste de ma vie.Ils m’ont appris beaucoup de choses: le courage, le respect et l’humilité.La plupart m’ont aussi appris le pardon."
La cour n’est malheureusement pas là pour accorder son pardon à ces accusés qui pourraient retrouver la liberté dès mercredi ou dans quelques mois.Le président l’a rappelé: le jury de magistrats professionnels se basera sur une question fondamentale: " avez-vous une intime conviction. " Réponse mercredi soir.