Procès des attentats de Paris: Abrini « qui a renoncé » peut-il éviter la perpétuité ?
Les avocats de Mohammed Abrini ont plaidé pour une peine de 30 ans plutôt que la perpétuité. Leur démonstration a tenu bon, sachant que leur client prendra très certainement cette perpétuité au procès des attentats de Bruxelles.
Publié le 23-06-2022 à 17h59 - Mis à jour le 23-06-2022 à 18h00
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Alléger la peine d’Abrini pour ne pas donner raison aux djihadistes sanguinaires que sont Abaaoud et El Bakraoui, c’est par cet argument que l’avocat belge Stanislas Eskenazi a tenté de secouer la cour lors de sa plaidoirie ce jeudi.
Le procès des attentats de Paris a permis de démontrer que Mohamed Abrini avait fait demi-tour la veille du 13 novembre en quittant la cellule dont une partie était en planque à Bobigny. " Le 12, il a parlé à Abaaoud.Vous croyez qu’il a dit:’regarde par là’et qu’il est parti?" ironise l’avocat bruxellois.Eskenazi a rappelé les mots d’Abaaoud: " si tu n’y vas pas, tu finiras ta vie en prison ." Ce sont ces mêmes mots qu’Ibrahim El Bakraoui a prononcés alors qu’Abrini voulait s’extirper de la file d’attente dans laquelle il aurait dû se faire sauter à Zaventem le 22 mars 2016.
Ne pas donner raison aux commanditaires
Plutôt que la perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 22 ans, ses avocats ont plaidé pour 30 ans. Eskenazi a ainsi conclu en demandant à la cour de " donner tort " à Abaaoud qui lui promettait la prison s’il n’allait pas au bout de son engagement terroriste, "je vous en conjure."
Stanislas Eskenazi a plaidé avec son cœur et avec une sensibilité qui le rend sympathique auprès des différentes parties.Il adore jouer le rôle de "petit Belge" malgré sa large stature et son nez de boxeur. L’instant est sérieux, le stress l’a rongé au cours de ces derniers jours mais l’avocat ose faire rire.
Il ose aussi projeter une photo qui fait frémir l’assemblée.Sur le même écran où des dizaines de photos de victimes ont défilé, l’avocat fait projeter la photo du frère d’Abrini, Souleymane, en béquilles et en treillis de combattant, posant fièrement au sein d’un groupe de quatre djihadistes.Parmi eux: Abdelhamid Abaaoud.Un moment de stupeur s’empare brièvement de l’assemblée.Mais le public veut comprendre le message plutôt que de s’emporter.
La mort de Souleymane en Syrie a précipité la radicalisation de Mohamed Abrini.Il serait parti en Syrie, officiellement, pour se recueillir sur la tombe de son frère.Mais ce qui est sûr, c’est que ce voyage lui a permis d’intégrer la cellule terroriste amenée à frapper l’Europe. " Abaaoud, c’est le pire des criminels.Mais, pour M.Abrini, c’est celui qui tient la main de son frère ," commente l’avocat en regardant la photo. C’est cette main " que Mohammed n’pas pu tenir.Quand il part en Syrie, en tout état de cause, ce n’est pas dans l’idée de fomenter un attentat sur notre sol. Il a fait le choix de partir, je suis sûr qu’il le regrette… "
L’avocat du Molenbeekois insiste: son client "a renoncé. " Et de pointer ses " contradicteurs (certains avocats des parties civiles) qui ont parlé de ‘lâcheté’ qui viendrait annihiler toutes les circonstances atténuantes."
Molenbeek: là où les amis deviennent des frères
Eskenazi a pris le temps de dresser le décor de ce qui se passe de ce côté du canal de Bruxelles. " Molenbeek, c’est plus complexe que la vie d’un petit village.On doit comprendre pourquoi, nous les Belges, on détient le record du nombre de départs (en Syrie) par habitant. " Il a d’abord parlé des cafés où tout le monde se croise. De sa poche, il sort un dé et le fait rouler: " tout le monde joue au dado ." Alors, ces cafés, comme celui des Béguines tenu par Ibrahim Abdeslam, "c’est un lieu où on se croise sans prévision.On y réfléchit de manière binaire: c’est halal ou haram.On commente les chaînes d’infos qui tournent en boucle.On s’intéresse plus au sort d’un ami qui est en prison qu’à ses victimes… " Ces lieux de vie sont des incubateurs d’amitiés et c’est ce qui a pu provoquer cette radicalisation de masse. " C’est plus que des amis: ce sont des frères ." Et l’avocat en profite pour tenter une dernière fois de sauver la mise des trois gars qui comparaissent libres dans ce procès: " cette fraternité dans la vie peut vous amener au tribunal.Messieurs Oulkadi, Chouaa et Attou en sont les plus cinglants exemples ."
Face à cet extrémisme radical qui a pris naissance dans ce type de quartier, l’avocat d’Abrini évoque une " passivité coupable.Il y a des quartiers qui étaient prédisposés à ce que le terrorisme prenne forme. " Il veut ainsi contextualiser et " expliquer des choix" mais se défend de glisser vers "la victimisation" de son client.
«L’addition des perpétuités, ça donne le vertige»
L’ensemble de la plaidoirie tient bon, comme celle de Marie Violleau, l’autre avocat d’Abrini.Elle aussi avait demandé de la clémence au tribunal en proposant une peine de 30 ans. " Monsieur Abrini est coupable et vous allez le punir.Mais la justice n’est pas une arme de la colère."
Sur les 10 circonstances aggravantes, elle en démonte la moitié. "Toutes les perpétuités, additionnées les unes aux autres, ça donne le vertige.La perpétuité, c’est enlever le ciel entre les barreaux; c’est abaisser les plafonds pour qu’on ne puisse se tenir debout. " Pour celui qui a "renoncé" , elle ne veut pas de la perpétuité. " Quand on fait un pas vers le collectif, quand on brave l’État islamique pour se rapprocher de la communauté des hommes, c’est trop…"
Ce vendredi, ce sera le dernier jour des plaidoiries de la défense avec les avocats de Salah Abdeslam