Les mémoires du dragon Dragon (T.1) [CRITIQUE] - Voyage au bout de la lâcheté
Et si la bataille de Valmy avait, en fait, été gagnée par un simple troufion, lâche et obsédé sexuel ?
Publié le 16-06-2022 à 08h00
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20 septembre 1792: à Valmy, lors d’une bataille restée célèbre et qui prendra le nom de la petite commune de la Marne, l’armée révolutionnaire française bat, contre toute attente, les forces armées prussiennes. Une victoire qui permettra de dire adieu au régime monarchique. Et, bientôt, de proclamer la Première République.
Ça, c’est pour la version officielle. Que Nicolas Juncker remet hardiment en question dans Mémoires du dragon Dragon , un récit qu’il a écrit, avant d’en confier le dessin au dessinateur flamand Simon Spruyt. Pour lui, la bataille de Valmy résulte du "roman national". Bref, pour être clair: voilà une victoire qui fut trop belle pour être vraie.
Il ne peut pas y avoir de noblesse dans la guerre. La guerre, c’est forcément des vies brisées.
" J’ai toujours été antimilitariste , reconnaît-il. J’ai été objecteur de conscience. J’étais plus Hara-Kiri que Guerres et Histoire. Il ne peut pas y avoir de noblesse dans la guerre. J’ai été traumatisé par Remarque, Norman Meiler, Le Désert de Tartares. Ce sont des auteurs, des romans qui démontent ce roman national. La guerre, c’est forcément des vies qui vont être brisées. "
Conséquence: son héros est un lâche. Pas qu’il soit incapable de bretter, juste qu’il est prêt à toutes les bassesses pour éviter pareille issue. Une sorte de Blutch obsédé sexuel qui, si l’on en croit le scénario concocté par Nicolas Juncker, a beaucoup plus pesé sur l’issue de la bataille de Valmy que les Danton, Dumouriez, Kellermann et même que le duc de Brunswick, l’homme qui battit étrangement en retraite devant l’ultime offensive de la France révolutionnaire.
Mémoires fictives, mais vrai symbole
Ce sont ses mémoires, évidemment fictives, que raconte cet album à placer dans la grande tradition picaresque: a priori, aucun Pierre-Marie Dragon ne fit partie des régiments de dragons français, ces combattants d’infanterie qui se déplaçaient à cheval. Mais si son double patronyme – et sa propension à tâter du fessier, qu’il soit masculin ou féminin – en fait un personnage ridicule, il n’en est pas moins un précieux symbole: celui d’une France d’en bas, venue contester la version véhiculée par celle du "haut". Un ouvrage particulièrement jouissif, à condition d’avoir l’esprit, disons, assez ouvert.
Le Lombard «Valmy, c’est fini», Juncker/Spruyt, 64 p., 14.75 €.