«On n’est jamais vraiment guéri»
En proie à des délires de persécution, l’acteur Stefano Dionisi a approché la folie. Il se raconte dans un livre touchant.
Publié le 10-06-2022 à 06h00
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Il est un acteur italien très demandé pour le cinéma et la télé. On l’a notamment vu l’an dernier dans Tre Piani de Nanni Moretti. Sa carrière a décollé quand il a pris les traits de Farinelli dans le film de Gérard Corbiau en 1994.
Mais c’est une expérience moins glamour qu’il raconte dans Jeudi, le jour du barbier : celle du tunnel tortueux de la folie. Un jour il fuit un tournage à gros budget, persuadé d’être persécuté. Il sera emmené de force en hôpital psychiatrique où il fera plusieurs séjours en dix ans.
"J’ai eu des crises psychotiques, après Farinelli.J’entendais des voix qui me disaient quoi faire. J’ai perdu tout, j’ai perdu mon travail, j’ai perdu beaucoup d’argent."
Il raconte son expérience sans tabou et avec une sincérité désarmante. "Ce n’était pas ma volonté d’écrire un livre, c’est vraiment un cadeau du ciel.C’est un éditeur qui avait lu une interview parue dans le Corriere della sera qui me l’a proposé. Ça a été une expérience difficile d’écrire, beaucoup plus difficile que d’être comédien.Je ne sais pas si j’en écrirai un autre, je n’ai pas d’autre histoire…"
Le livre est sorti en Italie en 2015 et il vient d’être publié en français par la jeune maison d’édition belge Accro. "Quand le livre est paru, je ne m’attendais pas à de telles réactions. On me disait tu es très courageux.Mais je ne trouve pas. Quand tu vis ça, tu rencontres des tas de gens qui sont dans de situations terribles et moi j’ai toujours pensé que j’avais de la chance d’en sortir."
Avec légèreté
C’est une histoire très tragique mais en même temps, il y a de la légèreté dans l’écriture avec tous ces personnages hauts en couleurs, jamais nommés mais affublés de surnoms tels que Jean le Baptiste, le Comte, le Pilote, Tchouf-tchouf ou encore le psychiatre Le Prof et ses assistants Talons Aiguilles et le Dévoreur. "Ce côté joyeux vient du fait qu’à l’hôpital, on est enfermés dans une salle, tous ensemble, toute la journée. On fait des blagues, on rigole de soi, des maladies des autres, on donne des surnoms… on attend l’arrivée des pizzas comme un événement… C’est tout ce qu’on a: les médicaments, la thérapie et l’imaginaire." Il le raconte avec beaucoup de bienveillance, sans jugement, jamais.
Une thérapie de 7 ans, "trois séjours à l’hôpital quand je n’avais pas la force de vivre.Tout ça c’est derrière moi, mais on n’est jamais vraiment guéri. J’ai toujours une petite voix qui me dit quoi faire mais j’ai ma femme et on parle de ça. C’est le fait de parler qui fait disparaître la maladie. Mais c’est pour tout le monde: quand on parle de quelque chose qui ne va pas avec un ami, un proche, c’est déjà une façon d’aller mieux."
Ce n’est pas un mode d’emploi, juste une expérience très personnelle. Mais depuis la publication, Stefano Dionisi a reçu beaucoup de réactions de la part du personnel soignant et beaucoup de demandes pour donner des conférences.
Stefano Dionisi, «Jeudi, le jour du barbier», Accro Éditions, 180p.