Feuilles volantes [CRITIQUE & INTERVIEW] – Il est grand, le mystère de la création
Un moine, un gamin et une héritière nourrissent une même passion à travers les époques : le dessin. Et Alexandre Clérisse s’amuse, lui, à les faire interagir dans un roman graphique qui s’affranchit du temps. Un ovni.
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Publié le 09-06-2022 à 08h00
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Si vous êtes un rationnel, pour qui une histoire doit comporter un début, un milieu et une fin, on vous déconseille d’acquérir un exemplaire de Feuilles volantes . Si, au contraire, vous êtes un passionné, sensible à la poésie et volontiers enclin à des questionnements plus "métas", ce roman graphique d’Alexandre Clérisse, formidable d’inventivité et qui fait se répondre trois époques de l’histoire, est fait pour vous.
Années 90. Max est un ado passionné de dessin qui se rêve auteur. Aidé par un curieux voisin, il crée, pour sa nouvelle histoire, le personnage d’un moine copiste. Ce dernier s’appelle Raoul. Et pour assouvir son propre amour du dessin, cet homme de foi a pris des risques, notamment celui de frayer avec un colporteur mis aux fers pour avoir distribué, sous le manteau, des textes imprimés forcément "diaboliques". Bien plus tard, en 2050, Suzie, également dessinatrice, poursuit vaille que vaille l’œuvre de son père…Max, et tente de prolonger les aventures de son personnage fétiche, celui qui a fait de lui un homme riche.
Vous l’avez compris: ces trois destins sont liés, sans que l’on sache, précisément, qui est la créature de qui… et même si l’univers du petit Max est sensiblement identique à celui du petit Alexandre Clérisse en son temps: " Physiquement, c’est clair , raconte-t-il. De la même façon, je vivais près d’un bois près duquel s’est installé un éditeur de bande dessinée qui m’a, à l’époque, donné beaucoup de conseils et de clés. Mais je me retrouve aussi dans les autres personnages. "
Ce Feuilles volantes , titre qui fait référence aux premiers écrits imprimés, distribués à la volée au Moyen Âge, est autant une ode à la création qu’une réflexion sur la condition d’auteur, pas si différente au XVequ’au XXIe siècle, ou sur la notion même de personnage: " Auteur ou lecteur, on continue de faire vivre les personnages qu’on a aimés dans nos têtes , analyse Alexandre Clérisse. C’est aussi pour ça que beaucoup se déchirent aujourd’hui autour de la reprise de Gaston Lagaffe: bien sûr, on peut regretter celle-ci au nom de la volonté de Franquin. Mais, au final, Gaston n’a-t-il pas fini par dépasser son créateur? Et faut-il, dès lors, le tuer ou le laisser vivre une autre vie? Je n’ai pas de réponse, mais c’est un débat passionnant. "
Dargaud Alexandre Clérisse, 144p., 23 €.