Bien-être mental: «un baromètre permanent serait important»
La crise du covid laisse une frange de la population belge souffrante mentalement, surtout chez les jeunes. Un outil, le « baromètre de la motivation », a démontré son utilité pour orienter les politiques.
Publié le 07-06-2022 à 06h00
"Nous sommes actuellement dans une phase de récupération, de respiration, plus longue que toutes celles que nous avons connues jusqu’ici, depuis le début de la crise du Covid. Mais il faut être prévoyants, ne pas attendre.Et se montrer transparents" , plaide Olivier Luminet, psychologue de la Santé à l’UCLouvain et membre du groupe du Conseil Supérieur de la Santé (CSS) consacré à la santé mentale.

"La motivation est remontée, tout comme l’état de bien-être de la population" , constate-t-il sur base des données de mars et d’avril. "Mais ce qu’on voit, c’est que certains groupes ont été fragilisés, pour qui des interventions sont nécessaires, surtout auprès des enfants et des adolescents.Nous avons des enfants de 10 ans qui font des tentatives de suicide.Jamais je n’avais vu cela."
Beaucoup trop tard
"On a pensé à la jeunesse beaucoup trop tard lors de cette pandémie", dit-il. " Il n’y a pas eu assez vite cette prise de conscience que le gros problème de la jeunesse, c’est que le besoin de contacts est énorme et qu’il ne peut être satisfait qu’en côtoyant des amis. Cela a traversé toutes les catégories de jeunes.Il n’y en a pas beaucoup qui sont sortis indemnes des confinements.C’est une population qu’il va falloir tenir à l’œil" .
Autre signal alarmant: "je constate peu de présence des étudiants au cours." Comme si un pli avait été pris après ces longs mois de privation d’une scolarité en présentiel. "Les plus à risque sont ceux qui sont entrés en bac1 en 2019 et qui sont maintenant en bac3."
Diverses décisions ont été prises pour faire face à ce mal-être de la jeunesse. "On a renforcé les dispositifs, les prises en charge des services d’assuétudes, de prévention du suicide, on a renforcé les centres de revalidation" , entre autres mesures, égrène la ministre wallonne de la Santé, Christie Morreale. Il y a notamment eu "l’arbre à paroles", dans le cadre de la campagne "partager c’est se libérer" de l’Aviq, lancée en février. Ce point de contact permet de recueillir les témoignages, et de prendre en charge les personnes en désespérance.

Attention aux hommes
La ministre Morreale identifie, elle, le public masculin comme étant un groupe plus à risque. "Les femmes expriment beaucoup plus leur malaise que les hommes, à qui on a toujours appris qu’ils doivent se montrer forts.C’est une question de culture machiste, alors que parler de sa situation peut aider. Nous devons porter une attention plus particulière vis-à-vis des jeunes et des hommes" , dit-elle. "Il y a davantage de suicides chez les hommes.Et chez les jeunes, les problèmes sont ressentis de manière plus émotionnelle."
"D’où l’importance d’avoir des communications ciblées" , appuie Olivier Luminet. "Au début de la crise sanitaire, on s’adressait avec la même voix à tout le monde.Or c’est inutile de porter l’effort sur des groupes qui sont déjà très sensibilisés.C’est important de bien cibler les messages."
41 baromètres
Un outil qui se voulait essentiel pour orienter les politiques a été le "baromètre de la motivation". L’initiative fut lancée par l’Université de Gand dès mars 2020, quand très tôt au début de la crise il est apparu que celle-ci ne serait pas uniquement sanitaire, mais aussi psychologique.Une crise qui faisait apparaître combien la motivation de la population, et son comportement, allaient être des facteurs cruciaux dans la stratégie anti-covid.
En décembre, d’autres universités (UCLouvain, ULB, KULeuven) se joignaient au mouvement.L’idée était d’objectiver (via une centaine de paramètres) la perception du risque au sein de la population, son degré d’engagement, le soutien aux mesures prises, ses attentes et son niveau de bien-être psychologique.
Après plus de deux ans de crise, le bilan des 40 baromètres de la motivation qui ont émaillé la crise sera tiré ce mardi 7 juin, lors d’un symposium qui réunira experts et décideurs politiques.Un dernier baromètre, le 41e, sera présenté. L’occasion aussi de s’interroger sur l’opportunité de prolonger cet outil qui se cherche un financement.
La collecte de données reste un défi.Le Conseil Supérieur de la Santé s’est, de son côté, prononcé en faveur de la permanence d’un tel indicateur, afin que la santé mentale ne repasse pas au second plan d’une sortie de crise.
"Un baromètre permanent serait important" , défend Olivier Luminet. Prenant l’exemple des Pays-Bas, "qui ont consenti un énorme investissement dans ce domaine.On espère nous aussi que, grâce à cette crise, la santé mentale deviendra une préoccupation au niveau le plus élevé."
"En Belgique, on n’a pas suffisamment conscience de l’importance de la santé mentale de la population. Ce n’est pas envisagé de manière transversale" , reconnaît Christie Morreale. "Quand les gens en souffrance psychologique arrivent à l’hôpital, ils sont déjà loin, ils nécessitent des traitements lourds. La prévention, détecter les problèmes en amont, c’est notre meilleur outil."