«La banalisation du sida déteint sur les infections sexuellement transmissibles»: et toi, il remonte à quand, ton dernier dépistage?
La campagne sur le dépistage des IST (infections sexuellement transmissibles) va commencer. Pourquoi les cas augmentent ? Que savent vraiment les jeunes ? Et les moins jeunes ? Entretien avec le directeur de la Plateforme Prévention Sida, Thierry Martin.
Publié le 31-05-2022 à 07h00
Les chiffres du VIH sont plutôt à la baisse depuis 5 ans. Par contre, les cas de chlamydia , de gonorrhée et de syphilis sont en hausse depuis les années 2000.

Comme chaque année, la Plateforme Prévention Sida relance sa campagne de prévention des Infections Sexuellement Transmissibles (IST) .On fait le point avec son directeur, Thierry Martin.
La Plateforme Prévention Sida organise deux campagnes médiatiques par an. Il faut bien ça pour maintenir l’attention?
Oui, on en fait une sur le dépistage ou sur le préservatif avant l’été. Et l’autre le 1er décembre, pour la journée mondiale du sida. On essaie que le VIH et les IST restent une préoccupation dans la société.Or, on constate, par exemple, une banalisation du sida.
On parle de gonorrhée, de syphilis…Ça sonne comme des maladies du Moyen Âge, alors qu’on a les moyens du XXIe siècle en termes de prévention et de traitements.On constate une résurgence de ces pathologies?
C’est vrai. La syphilis, on en parlait au XVIIe siècle.Depuis la fin des années ‘90, on voit que les cas augmentent de manière importante chez nous.On observe une utilisation moins fréquente du préservatif. La prise de risques est donc plus importante. Mais dans le même temps, depuis 25 ans, on essaie de focaliser l’attention sur ces IST et plus seulement sur le sida, qui prenait toute la place.Plus on dépiste les IST, plus on en trouve. C’est aussi pour ça qu’on recense plus de cas.
Cette année, la campagne porte sur le dépistage, pas sur le préservatif.
Oui, le préservatif sera au centre de la campagne 2023. On voulait focaliser sur le dépistage, parce que c’est aussi la clé. Si une personne est dépistée, on pourra la traiter, la guérir, casser la chaîne de transmission et empêcher les complications.
Ne pas traiter une IST, c’est d’office s’exposer à des complications?
Oui, elles en comportent un peu toutes. La chlamydia et la gonorrhée, non traitées, peuvent amener une infertilité. Le HPV (papillomavirus), c’est le risque de cancers de la gorge, de l’anus, du col de l’utérus… La syphilis, au 3estade, on peut en mourir.
Il y a des traitements pour chacune d’elles?Et s’ils sont administrés suffisamment tôt, ils permettent d’en guérir?
Oui. Les antibiotiques permettent de guérir des trois principales IST. Et ça se fait par administration orale ou par injection dans la fesse.C’est relativement simple, par rapport au VIH, par exemple.Mais j’insiste toujours: guérir d’une de ces IST, ça ne veut pas dire en être immunisé.
Vous constatez que le public actuel est mieux informé des risques qu’il y a 20 ans, par exemple?
Le fait qu’on banalise davantage le VIH entraîne un intérêt moindre tant pour le VIHlui-même que pour les IST.C’est l’impression qui remonte de notre expérience du terrain.Alors oui, il y a une connaissance globale. Mais sur le détail, bof…On entend des réflexions comme «Si je fais un cunnilingus ou un anulingus, je ne risque rien…» C’est important de rappeler les modes de transmission. Et puis, il y a un renouvellement constant des générations, qu’il faut informer, sensibiliser. On va directement sur le terrain, sur les lieux festifs, dans le scolaire, l’extrascolaire…
À partir de quel âge faut-il sensibiliser les jeunes?
La sexualité reste un thème qui intéresse les jeunes. Ils en parlent souvent entre eux.Mais la connaissance par les pairs n’est pas toujours la meilleure sur ce plan. Dans les écoles, on leur parle dès 14 ans.
Et pour cette campagne-ci, vous ciblez une tranche d’âge en particulier?
Les jeunes, bien sûr. Mais on essaie d’élargir le public. Et je pense que ça se voit dans nos spots TV et sur nos affiches. Quand on a 45 ans, qu’on sort d’un divorce, on ne se considère pas comme une personne à risque. Et le préservatif, après des années en couple…On n’a pas toujours le réflexe de protection. Selon les données épidémiologiques pour le VIH, la tranche 35-45 ans est très représentée.
Bref, l’effort de prévention ne peut jamais se relâcher.
Non. Et puis, les messages évoluent aussi. La prévention et le dépistage progressent tout le temps.Il y a maintenant des autotests, des tests rapides. Les avancées sont importantes aussi dans les traitements. Pour le sida, avant, c’était plusieurs pilules à prendre à des heures bien précises, avec des effets secondaires importants.Aujourd’hui, c’est une pilule par jour. Bref, nous sommes nous aussi amenés à nous renouveler en permanence.
Mettons que je suis une adolescente de 14 ans.J’ai eu un contact à risques. Mais j’ai peur de me faire dépister, parce que mes parents vont être mis au courant. Et puis, je n’ai pas d’argent. Je vais devoir payer quelque chose? Ça peut constituer un obstacle?
Certaines structures proposent un dépistage anonyme et gratuit.Des centres essaient, pour le VIH en tout cas, que les parents ne soient pas d’office informés. Sinon, le dépistage est remboursé. Et les parents peuvent être mis au courant dans un deuxième temps, quand ils reçoivent les documents de la mutuelle. Mais c’est l’objectif de la campagne: si le jeune pense qu’il a pris un risque, le dépistage est fondamental. Et il est accessible.
Mais si je suis contaminée par une de ces IST, je vais le sentir, non?
Il faut bien mettre ça en évidence: les IST sont souvent asymptomatiques. Parfois, on ne va rien voir, rien sentir.Et ça, c’est un frein au dépistage et au traitement.