Il n’aura manqué que la palme d’or au cinéma belge
Trois films en lice, trois films récompensés : la Belgique a colonisé le palmarès cannois, samedi soir. Mais loupé la palme. Analyse.
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Publié le 30-05-2022 à 10h12 - Mis à jour le 30-05-2022 à 10h48
Pour un peu, on se serait attendu à voir Guillermo Guiz venir assurer un numéro de claquettes sur la scène du Grand Théâtre Lumière, sous le regard complice de Virginie Efira, maîtresse (stressée) de la cérémonie de cette soirée de clôture, après avoir aussi assuré l’ouverture. Ou Thibaut Courtois débarquer en smoking pour venir cueillir un titre de plus et claquer, au passage, un check aux frères Dardenne.
Et si le grand échalas du Real Madrid n’était pas présent samedi sur la Côte d’Azur (il ne possède pas encore le don d’ubiquité, et avait déjà suffisamment de boulot du côté de Paris), la soirée cannoise, celle qui a vu la 75eédition rendre tous ses verdicts au terme de dix jours en forme de retrouvailles après deux rendez-vous tronqués par la crise sanitaire en 2020 puis 2021, n’en possédait pas moins de sérieux accents belges, avec un palmarès final à forte coloration noir-jaune-rouge.
Un "prix spécial" pour les frères Dardenne, et leur Tori et Lokita , le grand prix au Close de Lukas Dhont, et le prix du jury pour Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch pour Les huit montagnes : quand on sait que vingt et un films concouraient pour intégrer le prestigieux palmarès, y retrouver les trois candidats belges a, forcément, quelque chose d’exceptionnel.
La tombola cannoise
Il y avait donc pas mal de fierté, du côté de nos représentants, à l’issue de la cérémonie. Mais aussi un brin de déception d’avoir dû partager, dans les cas de Lukas Dhont et du duo Vandermeersch-Van Groeningen, leurs récompenses respectives avec deux autres films, désignés vainqueurs ex aequo par le jury que présidait l’acteur Vincent Lindon. Ou d’avoir vu ce dernier "inventer" un prix (de la politesse?) sur mesure pour les frangins liégeois.
Il faudra d’ailleurs peut-être offrir à ceux qui seront amenés à départager le panel 2023 une formation express afin de leur rappeler que le principe même d’un jury est, précisément, de trancher. Et qu’une récompense remise conjointement à deux œuvres vient, plutôt que d’étoffer le palmarès, en diluer la légitimité. La preuve: au total, ce cru 2022 aura distingué 12 des 21 films en lice. C’est beaucoup, probablement trop. Et donne à ce Cannes 2022 des allures de tombola de fancy-fair, où le ticket d’entrée ressemble à une garantie de lot.
Un bémol qui ne doit pas empêcher le cinéma belge de savourer l’historique moment, après les affres dans lesquels l’avait plongé le Covid et en dépit d’un financement au regard duquel de telles performances tiennent du miracle (voir l’édito en page 32). Un succès intergénérationnel (Dhont et Vandermeersch ont 31 et 38 ans, Van Groeningen en a 44 et les frères Dardenne 68 et 71), multilingues (un film a été tourné entièrement en français, un autre en français et néerlandais, et un dernier en italien, via une coproduction avec la Botte)… et surtout flamand.
Du monde devant le poste
Chose que les cinéastes liégeois, vieux routiniers du rendez-vous cannois, n’ont pas manqué de souligner en conférence de presse: " Attention, c’est le “grand remplacement” ", ont-ils lancé à la cantonade et avec humour, avant de chanter les louanges du septième art néerlandophone. " Le cinéma flamand a appris à rêver au-delà de ses frontières ", a pour sa part sobrement commenté Felix Van Groeningen au moment d’évoquer cette réussite.
Bref, à s’ouvrir sur le monde, en passant par Cannes. Reste sans doute le plus difficile: transférer cette notoriété dans les salles, et y attirer ce fameux public belge, pas toujours d’accord avec les jurys des festivals internationaux au moment de choisir son programme du samedi soir.
En ce sens, la diffusion, depuis cette année, des cérémonies d’ouverture et de clôture sur France Télévisions pourrait y contribuer: alors que les mêmes événements stagnaient à moins de 500000 téléspectateurs quand c’est Canal + qui se trouvait aux manettes, ils ont, cette année, battu des records d’audience avec 1,7 million de téléspectateurs pour l’ouverture et… 3,3millions pour la clôture – des chiffres qui ne concernent que le territoire français. Le début de la grande réconciliation?