Paul Magnette: «Pour corriger les inégalités, un revenu de base pour tous les 18-25 ans»
Interviewé par L’Avenir, le président du PS réaffirme les priorités de son parti pour le pouvoir d’achat : maintien de l’indexation automatique des salaires et davantage de liberté pour négocier les salaires. Paul Magnette avance aussi l’idée d’un revenu de base pour les jeunes, alors que le principe d’un revenu universel fait débat.
Publié le 23-04-2022 à 07h00
Paul Magnette, le 1er Mai approche, les syndicats ont mené des actions vendredi. Le pouvoir d’achat reste au cœur des préoccupations?
En tant que socialistes, défendre les droits et revenus des travailleurs est notre identité depuis toujours. On a fait beaucoup de choses dans le cadre de l’accord de gouvernement: augmentation massive des budgets des soins de santé, pension à 1500 euros (ce sera même plus avec l’inflation), augmentation des basses allocations, augmentation du salaire minimum pour la première fois depuis 12 ans, etc. Mais les circonstances sont exceptionnelles et appellent des réponses exceptionnelles. Depuis que je suis adulte, je n’ai jamais connu une telle inflation, peut-être pire que celle des chocs pétroliers des années 70.
Quelles réponses?
À l’initiative des socialistes, d’importantes mesures ont déjà été prises en matière d’énergie, pour rappel. Mais je suis conscient qu’il y a encore de vraies difficultés pour les gens. N’oublions pas l’indexation automatique des salaires, mise en place en 1920 par les socialistes et jamais mise en cause quand les socialistes étaient au gouvernement. Un saut d’index, c’est 40000 euros perdus sur une carrière. La droite et le patronat l’attaquent encore. Pour nous, il n’est pas question d’y toucher. Au-delà de ça, il faut rouvrir le débat sur la liberté de négociation salariale.
Avec les partenaires de la Vivaldi, peut-on imaginer une révision de la loi salariale de 1996 sur l’évolution des salaires, considérée par les syndicats comme trop restrictive?
Toute la difficulté est là. J’ai mis le sujet cent fois sur la table pendant les négociations pour l’accord de gouvernement. À chaque fois la droite et le patronat y opposent l’indexation automatique des salaires. Nous voulons défendre les deux – indexation automatique et liberté de négociation salariale – et pas l’une ou l’autre, comme la droite. Donc on tourne en rond.
Comment en sortir?
J’en ai parlé avec Alexander De Croo. Certes, ça ne figure pas dans l’accord de gouvernement, mais l’augmentation du salaire minimum n’y était pas non plus. Le deal sur le nucléaire n’y est pas tout à fait conforme non plus, mais les circonstances exceptionnelles de la guerre en Ukraine ont fait bouger les lignes. Quand on a fait l’accord, on n’imaginait pas une inflation incontrôlable à 8-10%, peut-être plus. Aujourd’hui, il faut en tenir compte. La seule vraie réponse structurelle, c’est d’agir sur les salaires, mais aussi les basses allocations et pensions.
Le patronat vous répondra toujours que cela mettrait les entreprises en péril…
C’est faux. Les marges des entreprises sont énormes, elles se préparent à distribuer des dividendes. Les patrons des grandes entreprises demandent maintenant des augmentations de leurs salaires. S’il y a de l’argent pour les patrons et pour les dividendes, il y en a d’abord et avant tout pour les travailleurs.
L’idée d’un revenu universel pour l’ensemble de la population revient sur le devant de la scène, sous l’impulsion du président du MR, qui plaide en ce sens. Vous étiez pour à une époque, mais ça a changé…
La formule que propose le MR est pour moi imbuvable. Ils disent «on vous donne 1000 €, que vous soyez chômeur, pensionné, travailleur, et après débrouillez-vous». Un, c’est très en dessous du seuil de pauvreté, donc insuffisant. Ce serait une régression sociale généralisée, ce qui de la part du MR n’est pas étonnant. Deux, c’est donner un pouvoir énorme aux patrons, qui pourraient dire «tu as déjà 1000 €, je t’en donne 500 et tu te débrouilles avec ça pour vivre».
Par contre, je pense qu’il existe des formules de revenu de base qui ont plus d’intérêt. Je viens de terminer un livre sur l’écosocialisme qui sortira en octobre. J’y défends l’idée, avec mon collègue Hugues Bayet (NDLR: député fédéral PS) qui représente la Belgique à la Conférence sur l’avenir de l’Europe, l’idée d’un revenu de base pour les jeunes, les 18-25 ans. Je pense que ça a du sens, parce que c’est à cet âge-là qu’il y a le plus d’inégalités et qu’elles vont le plus se cristalliser pour le reste de la vie, entre ceux qui peuvent faire des études ou non, qui doivent travailler pour payer leurs études ou non, ceux qui peuvent faire un stage gratuit et ceux qui ne peuvent pas se le permettre, ceux qui ont un bon salaire et ceux qui ont un très bas salaire, etc.
Ça devrait idéalement se faire à l’échelle européenne. L’Europe a besoin de tels projets mobilisateurs. Mais supprimer toute la sécurité sociale et la remplacer par 1000 € pour tout le monde, c’est non.
Concrètement, dans votre esprit, de quel revenu de base parle-t-on?
L’équivalent de la moitié du salaire minimum, environ. Aux alentours de 500 ou 600 euros pour chaque jeune de 18 à 25 ans. Ça ne suffit pas pour vivre, mais ça permet de financer une grande partie de ses études, d’avoir un complément à côté de la rémunération d’un premier job, de faire un stage non rémunéré, etc. L’idée n’est pas d’en faire un revenu suffisant, mais une correction d’inégalités très fortes à ce moment de la vie. Elles le sont aussi à d’autres moments, en réalité.
Lesquels?
Il y a deux moments fondamentaux dans les inégalités. Tout d’abord la prime enfance, raison pour laquelle il faut renforcer les crèches, l’encadrement dans l’enseignement fondamental, se battre pour les repas scolaires gratuits et de qualité, etc. Si à ce moment, on peut corriger beaucoup d’inégalités, c’est déjà beaucoup. La tranche 18-25 ans, c’est le nœud. Il y a peut-être un troisième moment, vers 15-16 ans, où il faut être très vigilant.
