Hépatite «mystérieuse» qui touche des enfants: vigilance en Belgique
Plusieurs dizaines de cas d’hépatite infantile ont été détectés en Europe. En Belgique, pas d’alarmisme, mais une vigilance accrue. Explications avec deux experts en hépatologie.
Publié le 21-04-2022 à 07h00 - Mis à jour le 14-05-2022 à 08h40
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Quelle est l’origine de l’hépatite qui a touché ces derniers jours quelques dizaines d’enfants dans en Europe? C’est un point d’interrogation pour le monde médical, y compris pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui a annoncé vendredi s’enquérir de la situation.
Le 5 avril, le Royaume-Uni signalait à l’OMS 10 cas d’hépatites graves en Écosse. Dans les jours suivants, le pays en rapportait 74 au total, auprès d’enfants pour la plupart âgés entre 2 et 5 ans. D’autres cas ont été signalés auDanemark, en Irlande, aux Pays-Bas et en Espagne, indiquait mardi le Centre européen de contrôle et de prévention des maladies ( ECDC ). Neuf ont aussi été rapportés chez des enfants de 1 à 6 ans en Alabama. Deux étaient en cours d’investigation enFrance, mardi. Aucun décès n’a été signalé, mais plusieurs cas ont nécessité une greffe de foie.
Aucun cas n’a encore été rapporté en Belgique, nous confirmait hier Sciensano. "Mais il n’est pas exclu qu’à terme, des cas puissent également émerger" , précise l’institut, qui est "en train d’examiner la situation" . "Dans le cadre de cette recherche, nous travaillons avec les services sanitaires des Régions, comme toujours quand une telle situation se présente."
Origine inconnue
L’origine de ces hépatites demeure donc inconnue. Des infections virales "habituelles" de type hépatite A, B, C, D ou E ont été exclues. La possibilité d’un lien avec l’adénovirus, groupe de virus infectant les muqueuses, est évoquée et examinée. D’autres causes sont étudiées, dont le Covid-19, le vaccin ayant par contre été exclu en tant qu’origine potentielle.
"C’est une situation qu’il faut surveiller, mais il n’y a pas lieu de s’alarmer" , explique Xavier Stephenne, chef du service de gastro-entérologie et hépatologie pédiatrique aux cliniques universitaires Saint-Luc . "On est face à des hypothèses, je n’ai pas vraiment vu d’informations scientifiques sur le sujet. Notre institution faisant partie du réseau de référence européen des maladies rares, nous avons été informés.Des contacts ont lieu entre sociétés scientifiques ", dit-il en se montrant rassurant, notre système de soins étant apte à prendre en charge de telles hépatites aiguës.
"On a vraisemblablement affaire à une hépatite d’origine infectieuse, vraisemblablement virale" , explique Xavier Stephenne, rappelant que "hépatite" est un terme générique recouvrant de nombreuses maladies du foie, soit aiguës et parfois fulminantes, soit chroniques. Leurs origines peuvent être multiples. "Quand on parle d’hépatite A, aiguë, ou d’hépatites B ouC, chroniques, c’est la plupart du temps des infections virales.Ce sont les hépatites les plus connues. Ici, cela ressemble unpeu à une A sans en être une . Par contre, l’origine d’une hépatite peut se trouver dans un adénovirus, un parvovirus, peut être médicamenteuse (une intoxication au paracétamol), auto-immune, métabolique, génétique, etc." , poursuit le spécialiste.
On devine dès lors la complexité d’identifier l’origine de ces hépatites "mystérieuses". "Il faut rester attentifs, sans paniquer , confirme Françoise Smets, doyenne de la faculté de médecine de l’UCLouvain et spécialiste en hépatologie pédiatrique. La situation est un peu particulière, avec autant de cas aussi rapprochés, dans cette tranche d’âge. L’adénovirus est évoqué, c’est une possibilité. A-t-on affaire à quelques cas aigus ou à un phénomène plus large, avec plus de cas qu’on ne le pense" dont des asymptomatiques? Françoise Smets évoque aussi "la dette immunitairequi est la nôtre" , faisant suite à deux ans de confinements et gestes barrières, qui pourrait faire partie de l’explication. Les questions sans réponse demeurent nombreuses.
«L’hépatite B se fait rare en pédiatrie»

Bien différentes les unes des autres, les hépatites (de A à E) d’origine virale provoquent des inflammations du foie, aiguës ou chroniques, et il est courant que les patients développent des anticorps et se remettent d’eux-mêmes. Des vaccins existent uniquement pour les hépatites A et B.
Concernant le vaccin contre l’hépatite A , il ne fait pas partie du calendrier vaccinal de référence, mais peut être administré à certains publics: des voyageurs se rendant dans des zones à risque, des professionnels de la santé, des patients déjà malades du foie, etc. "On vaccinera aussi l’entourage d’une personne atteinte d’hépatite A , précise Xavier Stephenne, parce qu’elle est contagieuse. " Elle se transmet par voie oro-fécale (comme la E), "C’est-à-dire lorsqu’on met en bouche des matières contaminées par les selles" , précise Françoise Smets. Pourquoi ne vaccine-t-on pas plus systématiquement? "La plupart des cas d’hépatite A se passent plutôt bien" , précise Xavier Stephenne, en dehors des rares hépatites "fulminantes" qui peuvent nécessiter une greffe.
Le vaccin contre l’hépatite B est par contre bien plus courant et connu des parents, puisqu’il fait partie du calendrier vaccinal conseillé pour les enfants en bas âge, sans être obligatoire pour autant (en Belgique, seul le vaccin contre la poliomyélite l’est). "On est face à un virus qui s’installe de façon chronique, raison pour laquelle il est préférable de vacciner. Mais l’hépatite B se fait rare et est en train de pratiquement disparaître au niveau pédiatrique, ce qui est un effet de la vaccination" , se réjouit Xavier Stephenne.
L’hépatite B se transmet "dans le cas de grossesses, de la mère au bébé (même si ce n’est pas un problème fréquent en Belgique) ou par voie de transfusion de sang ou assimilé, parfois par voie sexuelle" , précise Françoise Smets.
Il n’y a pas de vaccin contre l’hépatite C , qui se transmet aussi principalement par le sang. "Il existe par contre un traitement antiviral très efficace , explique Xavier Stephenne. Quant à l’ hépatite delta (ou D), elle est très rare, tandis que l’ hépatite E n’est pas très embêtante" .
À noter qu’être vacciné contre l’hépatite A et/ou B ne prémunit pas d’être infecté par une autre forme d’hépatite. « Il s’agit vraiment d’infections différentes. Avec le vaccin contre l’hépatite B, l’organisme va produire des anticorps de type anti-HBs, tandis qu’avec celui contre l’hépatite A, il s’agira d’anticorps IgG » , précise encore le chef du service de gastro-entérologiqie et hépatologie clinique. A fortiori, même si les incertitudes restent nombreuses, ces vaccins ne protègent pas non plus contre la forme d’hépatites survenues ces derniers jours et dont l’origine – l’agent infectieux – demeure inconnue.