Élection présidentielle: la France vraiment prête à succomber à l’extrême droite?
Il y a 20 ans, l’accession de l’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle provoquait un séisme. Aujourd’hui, c’est le scénario attendu, sans surprise.
Publié le 07-04-2022 à 07h09 - Mis à jour le 07-04-2022 à 07h24
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C’était le soir du 21 avril 2002, il y a vingt ans. Le visage de Jean-Marie Le Pen apparaissait sur les écrans de télévision, aux côtés de celui Jacques Chirac, pour le second tour de l’élection présidentielle. À la stupéfaction du candidat socialiste Lionel Jospin, de l’ensemble de la gauche et d’une large majorité de la société française.
Deux décennies plus tard, le scénario est tout tracé: comme en 2017, Emmanuel Macron et Marine Le Pen franchiront probablement la rampe du premier tour, dimanche. Et voir une candidate d’extrême droite accéder à un second tour semble être devenu une histoire attendue, presque banale.
Macron en perte de vitesse
Les récents sondages les placent en tout cas dans un mouchoir de poche au premier tour. Le dernier en date a été réalisé par Ipsos/Sopra Steria et place le candidat La République en marche (LREM), Emmanuel Macron, à 26,5% des intentions de vote. Il est en recul, ayant perdu 1,5 point en deux semaines. Celle duRassemblement national (RN), Marine Le Pen, a par contre grappillé 4 points et atteint 21,5%. En embuscade, le candidat de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, est en hausse de 2 points et atteint 16%. L’ensemble restant très indécis.
Ces dernières projections ont au passage provoqué un "électrochoc utile" dans le camp Macron, glissait hier un de ses proches, face un "resserrement sondagier" qui suscite quelques inquiétudes. On se souvient en France de l’assurance avec laquelle Lionel Jospin avait abordé le premier tour en 2002, avec les conséquences que l’on sait. D’autant plus que le curseur placé à la droite de l’extrême droite par Éric Zemmour (Reconquête) fait passer Marine Le Pen pour présidentiable aux yeux d’une part de l’électorat français.
Le père et la fille
Voilà une des grandes différences entre 2002 et 2022: la fille n’est pas le père. "Le séisme d’il y a vingt ans reste présent dans les esprits enFrance. Il s’agit toujours bel et bien d’un parti d’extrême droite. Mais Jean-Marie Le Pen tenait à l’époque un discours très dur ", là où Marine Le Pen s’est attelée à édulcorer le discours, observe Pierre Baudewyns, professeur en sciences politiques à l’UCLouvain.

Le scénario n’est par ailleurs pas le même. "En 2002, le résultat a surpris tout le monde, Jean-Marie Le Pen a accédé au second tour par effraction. Cette fois, il n’y a pas de surprise" , analyse le politologue Vincent Laborderie (UCLouvain). Et cette ascension de Marine Le Pen s’inscrit dans un contexte de montée de l’extrême droite, bien au-delà de la France, et de banalisation de ses idées, "que ce soit à travers Marine Le Pen ou Éric Zemmour" .
Qu’est devenu le clivage gauche/droite?
Un autre facteur intervient, assure Vincent Laborderie: c’est celui de "la dépolitisation. On vote pour Marine Le Pen sans se dire qu’on vote pour l’extrême droite, mais parce qu’on apprécie ce qu’elle dit, on la trouve sympa, etc." Le choix électoral ne se base plus forcément sur un clivage traditionnel gauche/droite comme autrefois.
Emmanuel Macron a lui-même ouvert la voie en 2017, avec son mouvement qui ne se situait alors ni vraiment à gauche, ni vraiment à droite.
Pierre Baudewyns place d’ailleurs le scrutin du moment dans une perspective plus large, qui n’a vu les préoccupations d’ordre socio-économique se résoudre pour une bonne part des Français. "Globalement, depuis 2002 et au fil des quinquennats avec une alternance de gauche et de droite, la situation socio-économique n’a pas vraiment été vers un mieux." La crise économique de 2008 est passée par là, mais aussi la crise sanitaire et, récemment, la guerre en Ukraine. Marine Le Pen l’a bien compris. "Le positionnement est toujours très à droite sur des thèmes comme l’immigration, mais le discours a évolué avec des propositions plus à gauche sur le plan socio-économique", explique Pierre Baudewyns.
Dans ce contexte, alors qu’elle se dirige vers le second tour, l’idée d’une Marine Le Pen qui accède à l’Élysée ne doit pas être totalement exclue. Ce scénario provoquerait-il un émoi similaire à celui qui avait traversé la société française il y a deux décennies? Cela reste difficile à prédire, répondent les deux politologues.
Et après?
« La gauche est très morcelée, mais je pense qu’il existe tout de même un terreau pour une mobilisation protestataire » , considère Pierre Baudewyns. Pour Vincent Laborderie, un sursaut de la société civile reste envisageable. Mais c’est avant tout vers les lendemains du scrutin qu’il convient de se pencher, selon lui. En particulier les élections législatives de juin. « Nous verrons les résultats, mais si Macron l’emporte au second tour avec 52 ou 53% des voix, ce sera un échec, ce ne sera pas aussi net qu’en 2017. Il faudra alors voir la dynamique à l’œuvre à l’Assemblée nationale, sachant qu’il risque d’être difficile pour lui d’y obtenir une majorité. Si Marine Le Pen est présidente, elle n’en obtiendra pas non plus. On pourrait alors se diriger vers quelque chose d’inconnu pour le système politique français de la Ve République, avec la constitution d’une coalition » et une position affaiblie pour le président. À la tête d’un pays où le système politique « s’est décomposé mais pas encore recomposé » , comme l’observe le politologue.