La numérisation des services menace les plus précarisés
La numérisation galopante des services alourdit la charge des travailleurs sociaux et risque d’exclure encore un peu plus les publics fragilisés
Publié le 02-04-2022 à 06h00 - Mis à jour le 02-04-2022 à 11h50
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A l’invitation de la fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri (AMA), les professionnels du secteur ont échangé, vendredi, sur la problématique des guichets fermés et de la numérisation galopante des services et institutions.
Cette problématique qui traverse plusieurs secteurs a de lourdes conséquences pour les professionnels et pour le public accueilli dans les différents services d’aide aux sans-abri.
" Bien sûr, il y a un retour à la normale, les travailleurs sociaux des institutions comme les CPAS reprennent les visites et les permanences physiques mais il y a d’autres services comme les banques, les mutuelles, les syndicats, le Forem… qui ont pris le pas de la crise sanitaire et du Covid pour numériser certaines démarches et aussi, malheureusement, fermer des permanences partant du postulat que c’était plus simple pour tout le monde", explique Léa Courtois, chargée de formation et de communication au sein de l’AMA. " Certes, cela facilite la gestion des dossiers mais pour les publics déjà fragilisés, précarisés, c’est la double peine."
Un facteur de dépendance
Le constat posé par les professionnels du secteur est le suivant: quand un guichet se ferme, il est rouvert ailleurs. " A chaque guichet fermé, c’est une charge de travail supplémentaire pour les travailleurs sociaux qui accompagnent ces personnes précarisées", avance Christine Bruelemans.
La directrice du Home Victor du Pré, maison d’accueil bruxelloise qui héberge 29 femmes et 40 enfants reconnaît que la numérisation a facilité la gestion des dossiers en rendant certaines démarches administratives plus simples et plus rapides notamment auprès des CPAS, des administrations communales…
"Mais il n’empêche que cet accès-là, c’est encore le travailleur social qui doit le faire. Nous accueillons des femmes fragilisées pour toute une série de raisons. Elles auraient peut-être les capacités de réaliser ces démarches en ligne mais, au moment présent, elles ne peuvent pas se mobiliser pour apprendre ces choses-là".
Et la directrice du Home du Pré de pointer le paradoxe de cette situation post-Covid: " Le fondement de notre travail est de pouvoir aider ces personnes à récupérer leurs capacités à se prendre en charge. La numérisation recréée un besoin d’être accompagné pour effectuer toute une série de démarches.Et puis si on réduit à peau de chagrin la possibilité de contacts humains, c’est perdu d’avance… Ce sont des personnes que l’on ne pourra pas récupérer".
Maintenir une présence physique
Christine Bruelemans ne prône pas un retour en arrière mais plutôt de faire coexister numérisation et présence physiquepour que toute personne ait la possibilité de choisir.
" On ne peut pas laisser qu’une seule façon d’accéder à ses droits, insiste-t-elle.On ne demande pas forcément de revenir en arrière mais de laisser une ouverture pour les personnes qui n’accrochent pas au numérique…Si une alternative n’est pas proposée, il faut être bien conscient qu’il y a une partie de la population que l’on va laisser sur le bord de la route. »