La campagne entre en mode cocktail explosif
L’affaire McKinsey fragilise le président Macron en plein contexte inflationniste. Tout bénéfice pour Marine Le Pen.
Publié le 02-04-2022 à 06h00 - Mis à jour le 02-04-2022 à 09h29
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Ce qui était à peine concevable il y a seulement quelques semaines est devenu ces derniers jours une perspective réaliste: Marine Le Pen (RN) est en situation de l’emporter face à Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle française, si toutefois les deux se qualifient lors du premier tour…
Le trouble McKinsey
Concernant le président Macron, l’affaire semblait entendue jusqu’à ce qu’éclate le scandale McKinsey, du nom de ce cabinet de conseil américain auquel l’État français à fait appel pour l’épauler dans diverses réformes, y compris lorsqu’il s’est agi de couper dans la dépense publique. Épinglé dans un rapport sénatorial dénonçant » un pognon de dingue »dépensé en faveur de ces cabinets de conseil (pas uniquement McKinsey), le gouvernement français a tardé à réagir, s’empêtrant dans une conférence de presse peu convaincante tenue cette semaine. Résultat, Emmanuel Macron est questionné quotidiennement sur le sujet, empoisonnant une campagne qui jusqu’ici ronronnait.
"Cette affaire est quand même très embêtante, parce que finalement c’est de l’argent public qui est mal dépensé pour des compétences qui souvent se retrouvent ailleurs. Cela marque l’absence de confiance dans les fonctionnaires; comme s’il fallait déléguer à l’extérieur ce qui doit se faire à l’intérieur", observe Virginie Martin, politologue et chercheuse française, qui note toutefois que le rôle des cabinets de conseil au sein de la puissance publique n’est pas une affaire nouvelle."Cela fait deux ans qu’on en entend parler, cela arrive peut-être un peu tard", remarque-t-elle, tout en pointant le contraste avec la dynamique dont bénéficie Marine Le Pen, qui a axé toute sa campagne sur le pouvoir d’achat.
Stratégie de longue haleine
"Ce qu’on peut dire c’est que Marine Le Pen a fait un pari social depuis des années et des années, ce qui contrarié son père d’ailleurs qui parlait d’erreur stratégique magistrale, mais je pense qu’elle a eu raison sur deux points: le tournant social et le changement de nom (NDLR: auparavant, Front National), poursuit Virginie Martin. D’autant que"Zemmour a eu un effet est très positif pour Le Pen, parce que ça détoxifie son discours", même si"dans le même temps ce sont des voix qui lui échappent."Problème:"Au deuxième tour cela peut faire un report de voix en sa faveur…"
Pourtant, comme pour Éric Zemmour, la campagne de la candidate d’extrême droite a un temps paru compromise du fait de ses accointances avec Vladimir Poutine et son autoritarisme avéré. Une controverse qui ne l’a finalement pas tant affectée. "La guerre en Russie a favorisé Macron qui apparaissait comme chef de guerre, mais dans le même temps, l’inflation augmente et cela crée des peurs économiques, on ne peut plus remplir d’essence sa voiture", abonde Virginie Martin, qui ajoute que"le Rassemblement National a énormément pénétré le vote ouvrier, au moins 30 pourcent de l’électorat potentiel de Marine Le Pen. C’est absolument énorme. C’est aussi le premier parti chez les chômeurs, et parfois chez les jeunes."
Contexte économique dégradé
Le retour de bâton pourrait être salé pour le président, qui a bien anticipé la hausse des prix du carburant en rendant effective une ristourne de 15 à 18 centimes par litre de carburant dès ce premier avril, et en faisant adopter un chapelet de mesures visant à soulager le porte-monnaie des Français, frappé de plein fouet par les conséquences de la guerre en Ukraine. Mais cela ne suffira peut-être pas à convaincre."Le gouvernement se moque de nous en baissant le prix de 15 centimes", avait d’ailleurs lancé la candidate RN à l’annonce des mesures gouvernementales début mars; quelques jours plus tard, une série d’actions de la part de pêcheurs, chauffeurs de taxi, ou encore chauffeurs poids lourd, qui dépendent directement des prix à la pompe, laissait craindre un blocage total du pays. Il n’en a finalement rien été (les prix ont baissé un peu, une première depuis le début de l’année), mais la route vers la réélection restera longue pour Macron, alors qu’il reste une vingtaine de jours d’ici le second tour.
Quand au premier tour, celui-ci n’est pas encore joué, mais il n’y aurait pas vraiment de surprises à attendre selon Virginie Martin: »Certains fantasment sur un second tour Mélenchon-Le Pen. Bon, Macron est quand même très haut, et puis il y a la volonté de jouer la stabilité: est-ce que c’est le moment d’aller renverser la table? Je fais pas mal d’entretiens en ce moment, les gens qui il y a quelques mois pensaient encore voter Mélenchon ou Zemmour aujourd’hui vont voter Macron… »